Le retour du raton

L'action se déroulant un jour antérieur au 21 janvier 1461

En déménageant en Bourgogne, Neti et Aislynn s'étaient rapprochées du Berry, donc de Noirlac. La rousse y était toujours, en quelque sorte, de par sa croyance, de par son appartenance de coeur à la communauté, du moins y était-elle souvent pour donner des cours de pastorale. Alors l'Aislynn devait laisser un peu de sa voilée à de jeunes gens qui demandaient à être guidés sur le chemin de la Foi. Question de partage. La soeur n'était jamais bien loin malgré tout, ou plutôt, disons que la gamine la laissait rarement s'éloigner de beaucoup. Noirlac ne faisait pas exception à leur règle de proximité. La mioche l'y accompagnait régulièrement, discrètement. Noirlac, c'était lointain, c'était tout près, on s'y trouvait sans y être, ça tenait du non-lieu et ça existait pourtant. Singulier phénomène. Le Très-Haut avait sans doute quelque chose à voir là-dedans.

En plus, à Noirlac, on rencontrait des gens de partout. Notre fillette ne venait pas dans ce but ; elle souhaitait simplement (c'est d'une évidence si vous avez bien suivi) retrouver sa rousse. Cependant, la suite de l'histoire nous apprendra que Noirlac lui réservait une visite plus riche en aventures qu'elle ne l'avait prévu cette journée-là. Sa quête du papier-qui-dit-qu'on-a-fini-la-pastorale serait pimentée d'une rencontre impromptue. Était-ce encore Lui, coquin, qui greffait quelques surprises à sa destinée ?

« B'jour, j'm'appelle Aislynn, annonça-t-elle à la soeur portière, j'connais déjà bien l'endroit, j'sais comment me rendre là où j'le souhaite, j'ai juste besoin d'entrer. »

La présentation : faite ! Vrai qu'elle aimait assez se débarrasser rapidement de cette formalité de base, pas originale le moins du monde. Et pour le reste, son ton ne se voulait pas désagréable ou arrogant, plutôt neutre et détaché. Elle était pipelette et il lui arrivait souvent de vomir un flot de mots. En l'occurrence, elle souhaitait répondre tout de suite à des questions qu'on lui aurait probablement posées, voire éviter le trouble de lui fournir des indications à la soeur portière du moment, jeune femme, ou fille plutôt, qu'elle voyait par ailleurs pour la première fois. Pas qu'elle fut pressée ou particulièrement impatiente de franchir les portes principales de l'abbaye... En fait, Aislynn réalisa soudain qu'elle n'était vraiment pas pressée de rejoindre Neti et qu'elle avait même le temps de s'enquérir de l'identité de ce nouveau visage. Ah! la curiosité, quand ça nous tient...

« Vous - » , non, c'était trop trop bizarre de s'adresser à une aussi jeune novice de cette manière impersonnelle, « Tu...? » , un peu d'hésitation quand même, parce qu'on n'est pas totalement certaine de bien deviner son âge, et que ce n'est peut-être pas approprié, en fait, de s'adresser à une inconnue, mineure ou non, de façon aussi familière... « ... t'appelles comment ? » Ouf ! c'était pas si facile. Merci la curiosité, vois bien comme tu me compliques la vie, qu'elle a envie de dire, la brunette.

L'Aislynn demeura un moment hébétée. D'habitude, elle posait les questions. Là, l'inconnue s'intéressant à ce qu'elle avait projeté de faire à Noirlac, ce fut comme si elle-même avait tout oublié. Ah oui ! le papier. Boarf, le papier... Soit il avait pris la poussière depuis longtemps et ne l'attendait plus, soit Neti ne l'avait pas encore rédigé, alors ça devenait tout à fait inutile de se précipiter. Mais la Christabella attendait toujours une réponse. Devait-on vraiment se risquer à des explications fastidieuses pour répondre ?

« J'connais quelqu'une ici qui a quelque chose pour moi, j'venais le chercher. »

Ç'aurait été difficile de trouver plus vague, gamine. Toi qui es curieuse, tu devrais savoir que ce genre de réponse n'est pas satisfaisante à qui souhaite se mettre sous la dent un fait croustillant. T'as même pas un nom, un détail ?

« J'venais voir Neti, peut-être tu la connais. » (sic)

Voilà qui était mieux. La brune réfléchit un instant, dévisageant sans scrupule la jeune rouquine. Elle la scruta, elle la jaugea, du haut de ses huit ans. C'est vrai qu'à peu de choses près... Allez, on fit passer au second plan la quête principale. Les deux fillettes avaient plus ou moins le même âge, et l'occasion s'offrant à elle, notre môme ne l'aurait laissé passer pour rien au monde, même si elle ne se l'avouait pas encore en des termes exacts : sa Ti était à la fois sa presque-mère et sa meilleure amie, mais une autre rousse était évidemment la bienvenue dans son très restreint cercle d'amis.

Changeant de sujet comme elle se concentrait désormais sur le nouveau but de sa journée, notre raton s'adressa tout sourire à la Jauzac :

« Mais c'est pas grave, tu sais, si j'vais pas la voir dès maintenant ! Alors on peut aller quelque part ensemble, s'tu veux, qu'est-ce t'en dis, hein ? »

Elle avait recouvré tout son enthousiasme d'enfant et imaginait déjà les mille et uns mauvais coups et aventures qui trufferaient leurs histoires de jeunes filles. Elle avait rencontré Elendra d'Acoma et Luisa von Frayner, des mois auparavant, qui l'avaient amenée à envier leur amitié profonde. C'était aujourd'hui sa chance de paraître comme elles avec une autre.