Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole.

Un moine, en tenue sombre, glissa un mot sous la porte de la cellule du recteur. Une de plus dans la longue pile de courrier que recevait l'abbé chaque jour. Guerre entre le Ponant et le royaume pour l'Anjou, rumeur d'introduction de troupes bourguignonnes non loin de Noirlac, propagation de l'hérésie, les sujets ne manquaient pas. Mais cette lettre était une de celle qu'aimait recevoir le recteur.

Il indiqua à sœur Eloin, avec qui il s'entretenait, d'aller lui chercher la sœur Anna_perenna, novice nouvelle mais prometteuse. Sans en entendre le résultat, il se dirigea vers le domaine abbatial et plus particulièrement les champs de vigne. Bardieu entra dans le bâtiment qui servait d'abri pour les outils et y vit la rédactrice du courrier. Bardieu avait rarement eu l'occasion de la croiser. Son visage était jeune et reflétait la beauté. Comme quoi, la beauté est bien issus des formes et rythmes harmonieux.

Afin de lancer le sujet, Bardieu prit la parole.

Bonsoir, ma sœur. Je vois que sœur Eloin vous a bien indiqué le chemin. J'ai reçu cet après midi votre missive et je souhaiterai avec vous parler viticulture et œnologie. Une cave est une grande idée ; l'endroit où nous plaçons actuellement les barriques ne peut, en effet, être considéré comme une vrai cave.
Mais expliquez moi votre projet, je souhaite en connaître les détails, avant de l'accepter.

HRP : RP ouvert à tous, en particulier pour les vignerons.

A la fin de sa journée de vendanges, Anna entra dans le hangar en bois pour s'enquérir des outils et instruments que l'abbaye avait à sa disposition pour vendanger et également pour vinifier.
Il y avait des houes, des serpettes, des binettes, des besoches à lame triangulaire nécessaire à opérer des trous dans la terre afin d'y planter des échalas ; tiens, des échalas, il y en avait des bottes complètes, chaque botte contenant cinquante brins.
Un pressoir également...tout neuf !!! Il n'avait donc jamais servi ?! Un fouloir également beaucoup plus usagé mais fort correct, bref, il y avait tout pour faire du bon vin et également en faire un vin de renom.

Son inspection terminée elle s'apprêta à sortir et rentrer dans sa cellule lorsque le Recteur apparut...encore plus immense et plus imposant qu'elle ne l'avait imaginé. Certes elle l'avait entrevu lors de plusieurs offices mais près de Lui, Anna se sentit infime microbe prêt à être écrasé par un fin gourmet ou gourmand...apparemment.
Il la salua et Anna s'inclina respectueusement.

" Monsieur le Recteur, je suis enchantée de vous connaître et je vous remercie d'avoir fait si vite pour m'entendre plaider la cause d'un art noble et d'une denrée qui ne nous laisse pas indifférents."

Anna jouait une partie de sa renaissance à ce moment-là, en effet la vigne était sa passion et son bien être. Combinée avec la prière et les personnes de cette communauté qui l'enchantait au fur et à mesure qu'elle les côtoyaient, la jeune novice vivait un véritable paradis solaire.
Elle s'éclaircit la voix et entama son exercice oral.

" Si vous le voulez bien Mon Père, je vais vous parler du vin ; ah ! Le vin ! Comme je vous l'annonçait dans ma missive, c'est la partie intellectuelle du repas, les mets n'en sont que la partie matérielle. Bien manger et bien boire sont deux arts qui ne s'apprennent pas du jour au lendemain. Dire que je suis tombée dans les cuves de vin étant petite, n'est sans doute pas faux, depuis ma plus tendre enfance j'ai vu mes grands-parents vendanger, vinifier, ils m'ont appris à aimer le vignoble, le respecter, à retirer l'essence même de ce noble fruit ; et depuis, chaque fois que je vois une vigne, je ne peux m'empêcher de caresser les ceps rugueux, flairer les feuilles, goûter les grains...bref...je m'égare pardonnez-moi.
Savez-vous qu'Alexandre le Grand ajouta à ses titres victorieux le titre de Docteur en bien boire et en bien manger ? Si si, je vous assure, il ne pouvait rien faire que de grand.
Je pourrais vous parler également des caves de Scaurus dans l'antiquité qui contenaient 195 espèces de vins différents ; des vins de Scio, les meilleurs de la Grèce, des vignobles d'Albano en Italie donnant des vins forts et légers tout à la fois, pfff, encore plein d'autres !
Mais...comme avec les barbares, toute civilisation disparut ; et le vin également. Est arrivé la cervoise et le cidre, puis grâce à quelques amphitryons, le vin est réapparu avec l'hypocras, ensuite et bien s'est installé différents cépages ramenés par quelques esthètes ayant voyagé dans tous les horizons, dans tous les royaumes et qui donnent aujourd'hui diverses qualités de vins qui se font reconnaître aux gourmands afin qu'ils puissent les apprécier.
En ce moment à Noirlac nous vendangeons le Sauvignon Blanc, ensuite je pense que Mère Eloin nous dira de travailler le Pinot noir. Vos collines mon Père, où poussent vos vignes sont très bien exposées, Nord-Nord Est, de plus le sol est idéal pour le Sauvignon ; moins pour le Pinot qui demande un peu d'argile, mais je ne doute pas que l'on en fasse un grand vin rouge ordinaire.

Voilà ce que je puis vous dire sur le vin ; oh, je pourrais vous en raconter encore, mais point trop n'en faut. Voulez-vous que je vous parle de la cave ? Comment je vois son organisation ? Oui ! D'accord, alors je poursuis...
Il faut construire une cave qui soit à la fois sèche et fraîche car l'air ne doit y pénétrer que par de faibles issues. Le soleil, ce fameux bon soleil dont les rayons méritent notre hommage est funeste pour une cave, il va de soi qu'il faut condamner à l'exil ses rayons.
Pour sa capacité, ne soyons pas trop prétentieux, le nombre de bouteilles n'est pas limité mais ma maigre expérience me pousse à vous dire qu'il faut marier luxe et économie. Peu de vins peuvent être amoncelés en grande quantité et malheur au buveur ignorant qui entasse dans sa cave tonneaux sur tonneaux car certains n'ont que quelques années à vivre et doivent être bus à maturité ; leur dégénérescence est rapide ; les blancs par exemple se conservent difficilement, par contre les rouges comme le Pinot noir comme cépage peuvent très bien être conservés longtemps, car leur vieillesse est leur principal mérite.
Il faut éviter tout feu de propreté à proximité, lorsqu'en automne on brûle les feuilles mortes, la fumée qui se dégage des feuilles fermentées altèrera notre nectar et il sera impossible de le conserver.
Avoir des tonneaux de chêne que l'on surélèvera d'un demi-pied au-dessus du sol. préférons les pierres pour surélever les futailles, car le bois au sol pourrit et cette moisissure pourrait se propager aux tonneaux et surtout aux cercles. Il faudra penser à éloigner les tonneaux du mur d'au moins un pied afin de toujours visiter leur fond postérieur."

A cette dernière phrase, Anna s'empourpra et se signa trois fois.

" Maintenant je pourrai poursuivre encore toute la nuit mon père, notamment en vous parlant de la visite des tonneaux, de l'ouillage, du tirage en bouteilles, du collage, des moyens que nous disposons pour prévenir l'altération des vins et comment y remédier, comment combattre le goût d'évent, de l'amertume, les vins qui prennent le goût du fût, prévenir leur dégénérescence... mais avant de poursuivre j'aimerais avoir votre avis sur ma demande. Et puis mon Père, le vin est ma passion, je fais le péché d'orgueil chaque fois que je vois une vigne au détour d'un voyage, de parler à voix haute et de clamer la noblesse des cépages que je découvre..."

Bardieu écouta attentivement la novice. Sa culture vinicole était absolument irréprochable et cela l'avait stupéfait.
Mais d'où venait donc la sœur Anna perenna ? Bardieu se promit de lui demander l'origine de cette culture, peut être est elle issus d'une famille aristotélicienne du Sud Ouest de la France ? En tout cas, il était maintenant clair qu'elle avait toutes les compétences pour commencer à être une caviste confirmée.

Ma sœur,
J'entends en vos paroles une grande expérience de la vigne, de sa culture, de sa tradition.
J'entends que vous ne négligez pas un des aspects le plus importants : l'humain. En effet, qu'est ce qu'un vin : ce n'est que le résultat du travail du terroir. Et qu'est ce que le terroir ? Ce n'est rien d'autre que la rencontre entre un terrain, un climat et des hommes, qui s'assemblent autour de deux produits : le raisin et le vin.
a place de l'humain est donc primordiale pour mener à bien la longe tâche de la vinification. Dans le bordelais, elle dure au moins deux ans, ce qui n'est pas rien dans la vie d'un vigneron. Chaque bouteille est ainsi un cadeau précieux de la nature, donc de Dieu. Je suis à présent tout à fait convaincu que vous connaissez le métier et que vous souhaitez développer notre belle collection de vin grâce à un lieu de maturation digne de notre abbaye et surtout de son breuvage.

Mais reprenons plutôt la partie construction. Je pense d'abord que la première partie est de déterminer ce que l'on veut mettre dedans. Des bouteilles ou des tonneaux, et prévoir les quantités. Le domaine de Noirlac compte pas moins de sept hectares de vigne. Je n'ai jamais su ce que cela représentait comme litrage, hormis le fait qu'il y a chaque année deux ou trois malaises de moines en foulant des pieds des vignes dans le pressoir afin de libérer le précieux breuvage. Le moine prit sa respiration et regarda à l'extérieur. Le domaine brillait sous le soleil couchant. Il commença à se reprendre la parole, mais en continuant à regarder à l'extérieur de la cabane.

Donc, un lieu sec et à l'abri des lueurs du paradis solaire, qui reste légèrement humide, dans un bâtiment isolé et protégé pour éviter les incendies. Anna perrena partit dans une explication dont Bardieu ne comprit que quelque mot. Pendant une fraction de seconde, il pensa à la trésorerie de l'abbaye.

Mais, ma sœur, vu toutes les techniques que vous décrivez, je ne suis pas sur que l'on applique ici la moitié des mots que vous avez prononcé. Ouillage, tirage en bouteilles, collage, sont fait au minimum. Par ailleurs, nous ne faisons que rarement du tirage en bouteille, nous vendons cela en tonneau. Je soupçonne d'ailleurs certains moines de prélever du vin dans les tonneaux destinés au denier du culte de l'abbaye...
Par contre, il y a aussi un autre problème. Notre abbaye donne chaque jour le pain aux pauvres et aux retraitants. Tout le fruit de notre travail part là dedans. Avez vous une idée de comment nous allons acheter les matériaux pour construire cette cave et une idée de l'endroit où nous allons la mettre ?

Par contre, continuez à me conter ces méthodes, qui sont fort riches. Je suis moi même très étonné des techniques pour éviter que le vin ne prenne l'air et ne s'oxyde. Pouvez vous m'en dire plus, ma sœur ?

Après un long moment de silence où Anna pensait que le Recteur s'était enivré des voluptueuses pensées de la novice, le bon père Bardieu revint sur terre...dessoulé ? Oui, d'ailleurs il n'avait jamais été ivre. Car la suite de ses propos démontrèrent à Anna que ce brave homme au ventre rond de bon moine paternel était un homme qui ne négligeait rien.

Citation :: J'entends que vous ne négligez pas un des aspects le plus importants : l'humain.

" Mon père, sans l'Humain, point de vin, point de savoir-faire. Que serait le vin sans l'Homme ? Une éternelle piquette qui continuerait à vous faire souffrir mille maux d'estomac !
L'importation de la vigne se décline par tous les temps humains possibles. La séquence élémentaire est constituée par l’instant du labeur quotidien, qui à chaque effort confronte le vigneron à la végétation récalcitrante, aux intempéries désespérantes, à la matière qui résiste, à sa sublimation en vin. L'intuition de l'homme juge l’optimum de maturité, et lance la récolte. Sa respiration est suspendue au passage d’un nuage de grêle qui se moque des efforts de l’année. Le vigneron se survit dans le vin qu’il met au monde, au pied du fouloir, du pressoir, et dans les ceps qu’il plante pour la génération suivante. Celui qui fait sauter le bouchon (plop) aussi communie à la temporalité immanente du vin. Il s’imbibe de la matière que le vigneron a projeté dans l’avenir. Il absorbe une parcelle de ce rêve d’éternité, de cette fascination pour la matière qui défit sa putréfaction. La cave est son royaume. Comme le carreau de vigne, c’est d’abord une propriété, un capital passionnel, une accumulation de temps dans un espace restreint."

Quand on abordait le sujet du vin, des chais et tout ce qui allait avec Anna se sublimait, elle ne vivait pratiquement que pour ça...ça et la nature humaine, aussi lorsque le Père Bardieu lui fit prendre conscience de la nature propre de l'Homme et que sans lui rien ne semblait possible, eut-t-elle un léger sentiment de vexation. Bien sur il ne savait pas le recteur, combien Anna avait été proche des gens, de la population souffreteuse.
Toute la vie d'Anna fut dévouée aux autres, elle ne supportait pas que telle ou telle personne puisse être mise à l'écart. Tout le monde avait droit au savoir, à la connaissance et à l'instruction et sa vie avait toujours été guidée vers l'égalité des hommes.
Et c'est d'une voix plus sèche, plus capricieuse qu'elle poursuivit :

" L'abbaye possède sept hectares de vigne ? c'est déjà pas mal ! 1458 sera une bonne année, les pieds de vigne sont chargés, je ne doute point que nous sortirons environ cinq tonnes de raisins par hectare, ce qui représente environ 3210 bouteilles...pas mal n'est-ce- pas ? Il faudrait donc que des moines charpentiers tonneliers nous fabriquent 21 tonneaux de 6 muids chacun (1 muid = 268 litres). De préférence en chêne pour la saveur, l'arôme, le tannin et surtout la conservation.
Pour ce qui est de l'entrepôt, une vieille grange désaffectée ferait très bien l'affaire ! Je ne suis pas charpentière, mais je ne doute pas que certains ont les connaissances adéquates, il faudra bien s'occuper de la toiture et faire en sorte qu'il n'y ait pas d'infiltration d'humidité...ensuite et bien je me chargerai d'un grand nettoyage, nous mettrions le fouloir et le pressoir proches de l'entrepôt afin de ne point perdre de temps lors du recueil du vin et...ben après avec celles et ceux qui seraient intéressés je leur apprendrai les techniques de conservation.
Oh ! L'ouillage est un terme bien savant qui désigne simplement le remplissage des cuves lorsque le vin s'évapore ; ne jamais laisser l'air entrer dans la futaille. Plus les vins sont nouveaux, plus les douves des tonneaux sont minces, plus la cave est sèche et aérée, plus les tonneaux doivent être remplis souvent. Si on néglige cette technique, on nuira à la qualité du vin.
Le collage ce n'est que l'adjonction de blanc d'oeuf et de colle de poisson pour retenir les matières en dissolution qui risquent de se précipiter plus tard. Mais j'expliquerai tout cela à ceux qui désireraient apprendre."

Anna se tut un moment, elle avait soif, très soif, de plus elle se dit qu'elle en avait pour un long moment, car le Recteur avait l'air avide d'apprendre les méthodes de conservation. Elle fit une pause qu'elle jugea nécessaire, invita le Recteur à s'asseoir et sortit de sa besace une bonne bouteille de grès dans laquelle reposait le Saint-Peray, celui-là même qu'elle avait fait déguster à Psy.
Elle sortit deux godets et en tendit un à Père Bardieu.

" A votre santé mon Père !"

[HRP : Le soleil (pour des raisons malheureusement économiques et financières Rolling Eyes

) est nécessaire mais point trop n'en faut. Les raisins ayant un degré trop important avant les vendanges, sont un problème de nos jours, car on tirera un vin de 16 voire 18° !!! ceci implique que le vin sera refusé par les commerciaux qui ne comprennent rien d'ailleurs mais cela est un autre problème, car leurs clients réclament un vin "ordinaire" (12-13°).
Être agriculteur de nos jours ? Ce n'est pas une sinécure, faut être fou pour se lancer dans le domaine de la paysannerie...ou alors amoureux de sa terre.

Voilà, c'était mon petit message coup de gueule ; quand à moi, je crèverai au milieu de mes terres mais je ne lâcherai rien.]

Tout en servant le vin délicatement, Anna chantonna lentement :

Citation :: " A vous je m'adresse Mes Dames
Je vais chanter le Saint-Péray
Il est surnommé vin des femmes,
C'est vous dire qu'il est parfait.
La violette qu'il exhale
En rend le goût délicieux
Et l'on peut dire qu'il égale
Le nectar que buvaient les Dieux..."

Puis religieusement elle savoura ce précieux breuvage en espérant que le Recteur l'apprécie à sa hauteur.

" Mon père, ce vin est plus précisément un Cornas, c'est le vin de mes ancêtres. Cornas signifie en Celte " terre brûlée", d'ailleurs la dénomination imagée explique fort bien ce qu'est ce vin et ce que représentaient mes anciennes générations ; Des gens robustes et généreux et un vin riche et dense.
Vous saviez que le Cornas était un des vins préférés de Charlemagne ? Si si...je vous assure...c'est p'têt ben pour ça qu'on l'appelait l'empereur à la barbe fleurie, chaque fois qu'il buvait un petit godet, sa barbe trempait dedans...p'têt ben après tout.
Le cépage de ses vignes est le Syrah, cela veut tout simplement dire que l'on ne fait que du vin rouge chez nous.
Bon, ben je vais poursuivre mon explication alors...dites mon père...c'est pire que de passer à confesse non ?"

Etait-ce les paroles...enivrantes d'Anna ou bien ce bon vieux Cornas qui rendait muet ce brave Recteur ? Elle n'aurait su le dire, toujours était-il que la jeune novice commença son cours sur la prévention de l'oxydation des vins.

" Pour éviter cette maladie mon Père qui provient toujours du peu de soin qu'on a mis à remplir les fûts, des transports effectués par temps chaud ou de la mauvaise qualité des caves, il faut le soutirer dans un autre tonneau où l'on brûle un pouce de mèche soufrée ; on colle en même temps avec six blancs d'oeufs par barrique.
Dans les cas où le vin n'aurait pas perdu tout à fait le goût qu'il avait contracté, il faudra répéter cette opération six jours après.
Puis on laisse reposer le vin, on le tire en bouteilles et...hum...ben faudra le boire après.
Autre solution ; jeter dans le tonneau malade un quarteron de froment grillé, presque noir, on soutire le vin une journée après, on colle et on met en bouteilles pour boire de suite.
Inutile de vous dire que le vin qui tourne à l'aigre ne sera pas vendable et que les soins qu'il faudra opérer, seront des soins pour satisfaire la ration quotidienne de nos moines. L'oxydation est une catastrophe pour le récoltant, car cela représentera une perte sèche pour l'abbaye. Donc, prudence prudence.
De toute manière, lorsque nous transvaserons le produit des vendanges de cette année, je serai présente pour assurer une bonne manipulation.

Alors mon Père, ai-je passé mon examen de passage ?"

Anna regarda le recteur en souriant d'un air malicieux puis reprit...

" A moins que vous ne vouliez que je vous parle des moyens à mettre en oeuvre pour éviter que le vin tourne en graisse, pour éviter qu'ils deviennent amers, ceux qui ont contracté le goût d'évent, le goût du fût, prévenir la dégénérescence, ceux qui sont trop sombres en couleur, ceux qui sont âpres...encore ? "

Bardieu but les paroles de la sœur cistercienne. Une vraie source, à la fois d'engouement, d'engagement, et... de liquide violacée ! Il prit le verre que lui donna Anna et dégusta. Il avait été élevé aux vins de Corinthe, et même après des années passées en terre berrichonne, il gardait cette idée du vin, celui de son enfance, qu'il n'arrivait pas à retrouver dans le verre d'Anna.

Je vous admire, ma sœur. Pouvoir donner autant de qualificatif à ce breuvage, je suis étonné et impressionné. Mais continuons à parler de ce Cornas. Si Charlemagne, notre empereur, aimait ce breuvage, alors, reconstitutions le.

Bardieu leva son verre à cette idée. Mais Bardieu ne connaissait pas très bien les cépages du Noirlac. Etait il du Syrah ? Bardieu pensait surtout que c'était du Merlot, mais il n'était pas agronome. Une science de plus à étudier. Donc, du cornas... ça me semble être une bonne voie. On pourrait y mettre l'image d'Aristote ou de Charlemagne sur l'étiquette. La réponse à la question d'Ana portait sur l'examen de passage. Bardieu était très satisfait.

Alors, oui, oui et triple oui, vous avez ma bénédiction et ma permission pour commencer la réforme de la cave.
Il va me falloir par contre l'ordre des travaux.

Depuis son entretien avec le recteur le Père Bardieu, il s'en était passé du temps, de l'eau avait coulé sous les ponts et le vin était prêt à être mis en bouteilles.

Certes, Anna avait eu des obligations qui l'obligèrent à déserter quelques mois l'abbaye. Mais son esprit pendant cette longue absence n'avait jamais quitté Noirlac...et la mise en fûts du précieux nectar.
C'est quelque peu anxieuse que lors de son retour elle se précipita vers le hangar où les tonneaux s'alignaient sur des tréteaux de pierre...la mise en bouteilles allait-elle pouvoir commencer ?

Elle avait ramené lors de son retour quelques bouteilles des vignes voisines ; vins d'lssoudun et de Châteauroux, de "Trie-La-Bardoul". Quand elle eut goûté à toutes ces piquettes, elle les chassa définitivement de sa mémoire, il manquait à ces pauvres vignerons un peu de savoir faire et de connaissance.
Noirlac possédait de magnifiques cépages de Sauvignon et de Pinot noir et Anna désirait tant faire de cette région un grand pays de vignoble avec quantités merveilleuses d'excellents vins.
Cas très rare, Anna s'aperçut que les terres de l'abbaye possédaient deux natures et donc deux vins pouvaient sans doute provenir du même cru en se révélant différents, à la fois comme saveur et comme développement. Une terre possédait un terrain marneux et donnait des vins corsés, un peu lourds, peu bouquetés, mais qui se développaient bien en quelques mois de bouteilles. Puis d'autres terres pierreuses, calcaires pouvant produire des très bons vins légers et fruités qui pourraient être destinés pourquoi pas aux repas quotidiens des moines, car elle n'en doutait pas, ces vins passeraient très vite et ne conserveraient pas.
L'année 1458 avait été sèche et une bonne cuvée pouvait être espérée...restait à savoir si la conservation en fûts avait été efficace.

Le coeur battant elle s'empara d'un maillet et fit péter le gros bouchon de bois de chêne obstruant le goulot du premier fût...

- Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!

Elle était aux anges, le vin qui s'écoulait à flots était d'une limpidité sans pareille, elle s'empara d'une écuelle d'étain et en recueillit quelques larmes, puis la haussa vers la lumière...

- Parfait...il est parfait. Inutile d'attendre le printemps pour le tirer.

Il faisait frisquet en ce 11 février, un vent soufflait du nord vers l'est. Elle reboucha alors le tonneau et s'enquit des bouteilles entreposées...

- Et bien maintenant ma jolie, reste plus qu'à rincer avec soin toutes ces bouteilles et les flairer une à une...au boulot !

Elle compta les fûts....à raison de 130 bouteilles par hecto, cela donnerait bien plus de 3000 bouteilles convenables, avec quelques bons vins pour les réceptions à entreposer...pas mal pour une première année.
Avant d'entamer son dur labeur, elle sortit de sa bure un gobelet en étain et s'en servit une longue rasade...savourant et dégustant ce vin fruité au parfum discret elle murmura...

- Que l'on me gourmande sur mon penchant à l'ivrognerie et que l'on m'annonce que je ne trouverai jamais mon salut tiens ! Je leur répondrais à tous que le bon vin fait le bon sang, que le bon sang donne la bonne humeur et fait naître les bonnes pensées et que les bonnes pensées produisent les bonnes oeuvres et donc que les bonnes oeuvres conduisent l'Homme au paradis solaire...donc hé hé hé, le bon vin doit me conduire au paradis...
Amen.

Après avoir largement dégusté la nouvelle cuvée, elle empila sur une carriole toutes les bouteilles qu'elle put dégoter puis se rendit près du ruisseau baignant et irriguant les champs de culture de l'abbaye. Elle rinça les bouteilles avec le gravier de rivière, ce qui lui prit un long moment, et flaira les récipients un à un, rejetant les contenants ayant mauvaise odeur.

Ce travail harassant effectué, elle retourna à la grange servant d'entrepôt aux tonneaux et fit rouler péniblement une bille de bois de chêne. Confectionna à l'aide d'un couteau des bouchons de ce même bois qu'elle toisa au goulot des bouteilles afin qu'ils puissent entrer de force.
Ceci fait, elle enveloppa chaque bouchon d'un morceau de toile de lin et de chanvre puis s'occupa de tirer le vin dans chaque bouteille.
Chaque flacon rempli, à l'aide d'un marteau de bois, elle frappa sur les bouchons jusqu'à ce qu'ils ne débordent que d'un ou deux cerneaux...

Elle ne s'était pas rendu compte de l'heure qui avançait et la nuit commença à succéder au jour. Elle alluma plusieurs orches pour poursuivre son travail loin d'être terminé.

En effet, si Noirlac voulait conserver du bon vin et alimenter sa réputation il fallait estampiller les bouchons. Alors elle avisa un tonnelet de résine courante, en préleva quatre à cinq livres qu'elle fit fondre dans un chaudron mélangé à un quarteron de cire jaune et quelques onces de suif ; tout cela pour que le vin se conserve longtemps en bouteilles.
L'enduit réalisé préserverait les bouchons de la moisissure qui les atteint à la longue, les empêchant également d'être rongés par les insectes qui pullulent dans les caves...

Elle baîlla à s'en décrocher la mâchoire...ne restait plus qu'à entreposer les bouteilles cachetées...buvant une dernière écuelle de sauvignon, ses yeux papillonnèrent...elle était harassée...avant de plonger au royaume de Morphée elle pensa...l'étiquettage...fallait penser à l'étiquettage...faire connaître notre vin...caves...vins...nectar...liesse...
Le sommeil l'envahit, et c'est avec Bacchus qu'elle passa tout le reste de sa nuit.

Il était temps de passer à la réalisation des premières enluminures de la production viticole de l'abbaye. Aussi la jeune novice se rendit dans sa cellule pour y travailler.
Pour cela elle disposa près d'elle des encres de sa propre confection, des encres naturelles qu'elle fabriquait elle-même à base de sarments de vignes consumés et réduits en poudre, un peu de miel et de blanc d'oeuf et quelques tannins végétaux qu'elle obtenait par macération de noix et qui avaient la caractéristique de foncer à l’air.
Pour obtenir les couleurs elle mélangea avec le résultat obtenu précédemment des pigments comme le minium de plomb, le cinabre pour le rouge, le lapis-lazuli pour le bleu, la malachite pour obtenir du vert, un peu d'eau et un liant

Ceci fait elle prit délicatement quelques feuilles d'or et après avoir tracé le dessin à la mine de plomb et l’avoir rehaussé à l’encre, elle déposa un apprêt composé de gomme ammoniaque, de blanc d’œuf, de colle de poisson et de jus d’ail.

Ainsi durcie, la feuille d'or fut déposé sur une assiette en étain et Anna l'enduisit de miel et de colle de poisson...restait plus qu'à attendre le séchage. Le résultat n'était pas si mauvais que ça, il ne restait plus qu'à proposer les réalisations aux éminents administrateurs de l'abbaye...

Qu'allaient-ils en penser ? Bah...peu importe, la jeune novice s'était bien fait plaisir, n'était-ce pas là l'essentiel ?
C'est le coeur battant, quelques heures plus tard qu'Anna se rendit dans les bureaux des sommités de l'abbaye.

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique10

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique10

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique11

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique12

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique13

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Etique14

j'aime bien la premiere tout au dessus donc...

Prévenue par un petit mot de la soeur viticultrice, Eloin la rejoignit, et salua l'intendant d'un sourire. Elle examina en silence les diverses étiquettes, puys se tourna vers la jeune novice, en se frottant la tempe d'un doigt.

Ma foy, voilà belles réalisations, ma soeur, félicitations pour le coup de pinceau ! J'hésite, pour ma part, entre la première et la dernière étiquette...

Défunt/Fantôme Nombre de messages : 7843 Date d'inscription : 27/01/2009

A son tour, "le Prince" vint admirer les oeuvres d'Anna. Déjà qu'il se régalait de ses écrits en gargote, parfois relayés par son épouse Sybille, avec qui la soeur viticultrice entretenait une relation épistolaire.
Il la salua d'un sourire, prit de ses nouvelles et bien entendu fit la révérence envers Wilfred et Eloin.

Et bien pour ma part, comme j'aime les choses simples, c'est vers la 4ème que se porte ma préférence.
Cela dit, les autres sont très belles, recevez toutes mes félicitations, ma soeur.

La jeune novice portait son regard vers les membres de l'abbaye et les sommités qui avaient daigné rendre un avis, elle les salua les uns après les autres...

F- Frère Neocor...merci de vous être déplacé aussi rapidement..., Frère Wilfred...merci pour votre vote, Mère Eloin...vous me voyez ravie de vous voir, merci à vous...vous verrez, le vin cette année sera excellent...
Qui sait déguster ne boit plus jamais de vin mais goûte des secrets...

Elle salua respectueusement puis rejoignit le père Uriel.

- Vous me voyez encore une fois très honorée de vous voir...merci d'accorder un peu de votre temps précieux pour le bien être de notre abbaye.

Fondateur Nombre de messages : 4123 Date d'inscription : 24/05/2005

Nous préférons pour notre part la première, la dernière et l'avant-dernière ! Vous êtes douées et devriez vous proposer aussi pour les étiquettes de nos autres productions (plusieurs fromages et notre bière).

elle avait reçu un mot lui disant que les étiquettes pour la nouvelle cuvée étaient prêtes, le temps d'une pause elle s'était précipitée pour les voir. Elle étaient magnifiques et le choix était difficile mais elle finit par choisir la première.

pour ma part je choisi la 3ème c'est celle qui ma tapé à l'œil.

pas trop de mal frere Rapha?attaqué par une étiquette dans l'oeil c'est vraiment bizarre^^

Petit à petit, tout le monde arrivait et donnait leurs avis. Les choix étaient différents plus ou moins et il allait être très difficile de faire un choix. Peu importe, Anna était ravie que ses essais plaisent.
Elle s'avança vers Frère Roger, le salua. Celui-ci lui répondit.

Citation :: Vous...devriez vous proposer aussi pour les étiquettes de nos autres productions (plusieurs fromages et notre bière).

- Oh Frère Roger, c'est un honneur que vous me faites là, écoutez, une fois les étiquettes collées sur les bouteilles, je viens vous voir pour prendre vos désirs et vos aspirations. Vous me direz exactement ce que vous aimeriez et je me ferais un plaisir de vous être agréables.

Puis elle alla présenter ses respects à une jeune retraitante en lui souhaitant beaucoup de courage, enfin elle fit un grand sourire à frère Rapha qui porta son dévolu instantanément sur la troisième épreuve.

Oblate Nombre de messages : 328 Date d'inscription : 14/08/2010

Nouchka venait de recevoir une missive pour donner son avis
elle se rendit dans le bureau
Félicitation pour le travail
elles sont toutes belles
donc le choix est difficile
mais j'aime les choses simples
donc je choisis la 4

Bardieu était extrêmement heureux de voir et de comparer les affiches entre elles. Il hésitait entre la première, superbe, mais il avait chiffré que les pigments de couleur devait couter très cher et la dernière était la préféré du recteur.

Apparemment, les avis sont partagés. La réponse n'est pas évidente, vu la qualité du travail. Je ne sais comment dire, le premier et le quatrième sont mes préférés.

La doyenne qui avait elle aussi reçu le courrier , arriva a son tour . Le choix était difficile , les avis étaient partagés et le sien le serait aussi .

Pour ma part j'apprecie surtout les deux dernières , bien que les autres soient aussi bien réalisées

Apparemment le choix semblait incertain, tout se déciderait avec les derniers arrivants.
Elle alla se présenter auprès de Nouchka et la remercia de son choix, puis sursauta en voyant ce bon recteur. Très indécis le bougre, mais vu son oeil pétillant et son contentement,Anna ne pouvait qu'être ravie de ses réalisations. Elle le remercia très platement puis s'avança vers Psy son ancienne professeure bien aimée...

- Alors chère Psy, ton choix est fait me semble-t-il...très bon choix, n'en doute pas.

Elle la gratifia d'un beau sourire et la bisa sur la joue.

Personnellement je serai pour la seconde, parce quelle montre le travaile que ont nos soeurs dans les vignes.

Et puis la dernière qui me parait bien s'accorder avec notre lieu de vie.

Anna n'attendait plus grand monde, aussi compta-t-elle les choix et envies de ses frères et soeurs et ô surprise, elle en arriva à la conclusion suivante, deux enluminures ne parvenaient pas à se départager.
Elle réfléchit un long moment...il était possible d'arranger les choses. Son visage s'éclaira et elle décida de faire une petite surprise à l'abbaye.

D'ici quelques jours tout serait fin prêt.

En attendant que les bouteilles de la cuvée 1459 soient fin prêtes, la soeur viticultrice s'engagea dans le domaine viticole de Noirlac afin de faire un état des lieux en vue de la prochaine récolte.
En janvier elle avait entamé la taille des ceps, à la Saint-Vincent plus précisément. Et souvent Anna chantait en taillant les rangées : " A la Saint-Vincent mets la serpe au sarment, À la Saint-Vincent L'alouette prend son chant et le vigneron son serpillon..." il n'avait pas beaucoup neigé cette année mais ce que la soeur avait redouté était le gel...une vigne c'était robuste, mais elle se souvenait de sa région natale où la température était descendue si basse que tout un arpent avait rendu l'âme.
Fin février elle avait tout taillé à l'aide d'une serpe avec dos tranchant. En avance sur son travail elle prit alors soin en début mars de réaliser des prélèvements de boutures afin de les réserver pour les greffes futures en les conservant à l'abri dans le sable. Vers la fin mars, les premiers pleurs...cette montée de sève du début de printemps qui gouttait à l'extrémité des sarments...l'éveil de la vigne.
Elle couvait cette ressource tombée du ciel, Noirlac possédait les plus beaux plants de toute la région et chaque jour elle surveillait jalousement leur développement jusqu'à ce fameux débourrement, cette éclosion de bourgeons survenant quelques jours après les pleurs et qui rejetaient leur bourre qu'on appelait coton, c'était à ce moment-là qu'elle classait les cépages selon leur précocité de leur débourrement...les Sauvignon en étaient au stade de " pointe verte " correspondant aux écailles (feuilles), c'est ce qu'elle appelait l'apex...les Sauvignon étaient bien plus précoces que les Pinot, aussi Anna redoublait de surveillance, craignant les gelées de printemps impitoyables pour les jeunes pousses...mais que faire contre la nature ?
Alors elle priait, chaque jour, chaque soir en demandant au Très-Haut de continuer à protéger cette abbaye ainsi que ceux qui la fréquentaient, une faveur pour tout le travail fourni par cette collectivité.

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Biblio10

Entretien en vue de la construction d'une cave vinicole. Biblio10

Le temps était trop beau, trop chaud, et la vigne pleurait.

Non, la vigne n'était pas triste, c'était plutôt le contraire, elle sortait de son sommeil. De la sève goutte à l'extrémité des sarments qui furent taillés, les racines reprenaient leur activité. C'est à ce moment-la que le travail de la terre devenait primordial. Alors la soeur viticultrice prit sa houe pour repousser la terre du pied vers le centre de la rangée, c'est ce qu'on appelait le déchaussage afin de pouvoir désherber plus aisément dans les mois à venir.
Mais cette année, la végétation était en avance, la vigne était très vite sortie de son sommeil hivernal et déjà de beaux bourgeons explosaient sous l'ardeur des rayons de soleil, les rameaux à certains endroits étaient déjà formés et des feuilles formés cachaient déjà quelques premiers fruits...
Anna tiqua. Pas bon tout ça...elle craignait par dessous tout les gelées, elle ne cessait de se le répéter et à chaque heure du jour elle chantait des litanies et récitait des prières en invoquant la clémence du Seigneur.