La bonne soupe !!

Un agréable fumet de petits légumes frais vint chatouiller le museau de Synesios en entrant dans la pièce. Il s'attendait à une énième discussion entre le frère Norf et la Mère Prieure, mais ce ne fut pas le cas. Au lieu de cela, la professeur qu'il connaissait pour sa rapidité à initier les jeunes croyants au sacrement du baptême pelait puis découpait avec force application les légumes pour la soupe du soir. Où donc trouvait-elle le temps de travailler en cellule et au réfectoire.

C'est avec un clair petit "Bien le bonjour", qu'il signala sa présence, avant de se positionner proche du banc où était Olesia.

-Ma soeur, je peux ? Il regarda autour de lui à la recherche d'un tablier.

Toute en pleine concentration, la jeune fille faisait sa petit corvert d’épluchure ainsi cette soupe pourrait faire venir des visages encore inconnu, que de mieux pour faire plus ample connaissance. Il est vrai qu’avec le travail, peu se croisaient et entamaient des conversations.
Un bruit, une voix, elle releva les yeux de ses légumes et reconnut un visage qu’elle avait croisée au séminaire. Elle lui adressa un sourire chaleureux comme a son habitude. Toujours accueillante et souriante, la jeune fille était.

"Le Bon Jor, mon frère. Ouy, avec plaisir ! Un peu d’ayde me fera point de mal et ainsy aurois-je bonne compagnie. "

Elle continua de sourire puis reprit.

" Vos allez byen ? je vos ai aperçut au sesmynayre mays vos estiez fort occupée par une demande de lycence. Vos cours se passent byen ? "

Devant le visage engageant de la soeur, Synésios laissa tomber sa capuche et saisit un couteau avant de s'asseoir.
Dieu qu'il était maladroit dans son épluchage, on aurait pu croire que c'était la première fois qu'il s'exécutait s'il ne s'était pas gardé de se couper. Mais derrière cette drôle d'allure, le séminariste portait incroyablement bien une soutane d'un ordre étranger. Il semblait n'avoir jamais vécu ailleurs qu'un monastère avec un pareil accoutrement.

-Ah la licence, oui, elle n'est plus très loin de s'achever. Cela a pris du temps mais j'ai un bon professeur. Et vous ma soeur, êtes vous spécialement chargée des pastorales ? J'ai été surpris de voir que vous étiez si sollicitée.

Il espérait simplement que la discussion allait divertir un peu ses longues journées de travail.

-Qu'allons-nous mettre dans cette marmite ? Au pays, j'aurais été surpris de ne pas y trouver un peu de poisson frais.

La chaleur des lieux et de la conversation commençait à lui redonner les couleurs qu'il avait perdu en déambulant dans le cloître glacial. Il s'appliqua à débiter les légumes de saisons en quartiers aussi également qu'il le pouvait. En fait, cet épluchage-découpage était fort bienvenu pour occuper ses mains et masquer la gêne qu'il avait de deviser avec la première soeur, relativement jeune, qu'il rencontrait depuis...toujours. Il y avait bien eu Mère Eloin, mais son visage parcheminé était plus proche de celui d'une mère. Et la doyenne, son air docte et professoral quoiqu'aimable, l'empêchait de la considérer comme une simple soeur.

-Certes, du poisson et parois quelques herbes forts aromatiques, mais elles ne supportent pas le froid. Je crois qu'on les appelle simples dans ces régions. Enfin, c'est comme cela que l'on prépare la soupe marine à Rhodes, je suis Grec. Mais ma mère est savoyarde par son père, alors que mon père est piémontais. Des ducs de Savoie qui occupent une partie de l'Achaïe depuis presque deux siècles. Je suis donc un fruit de ces deux cultures. Il lui laissa le temps d'imaginer quelques terres sablonneuses et blanches sous un soleil moins timide que ce jour-ci.

-Pardonnez-moi si je jette un trouble en vous, il se hâta de préciser ses propos, mais cette soutane est celle de mon ordre sur l'île. Oui elle est un peu étroite car je l'ai quittée à mes 16 ans en quittant le monastère de St-Achille des moines du Désert. Mais son lin est chaud. Cette soutane était réservée pour les offices les plus matinaux, quand il fait relativement froid avant l'aube. Il lui décocha un sourire qui détournait le regard des pelures collées à ses larges manches qu'il n'avait pas retroussées.

-Et vous Dame, quel chemin vous a mené jusqu'ici ?

Lorsque la parole reprit du moine, la jeune fille leva lentement les yeux de la table en sa direction pour l’écouter soigneusement mais en silence. Elle ne lui en voulait aucunement, d’ailleurs peu de personne était au courant, a vrai dire quasi personne, seul un petit groupe de cinq personne qui étaient proche d’elle était au courant.

Vos n’avez point à vos faire pardonner. Vos ne pouviez savoyr. Je ne parle jamais de ma famille car pour moy…on ne peut dyre qu’elle soit presente…fort heulreulsement, j’ai un parrain adorable quy prends soin de moy.

Elle lui sourit doucement pour le rassurer en le regardant

avez vos de la famille ?

Ma soeur, je partage avec vous la rassurante bienveillance d'un parrain qui m'a aidé à m'installer en Savoie. De la famille ? Je ne saurais dire. Mes parents ne sont plus jeunes, et je ne les ai que peu revu depuis mon entrée au monastère. Et lorsque j'en suis parti, il n'était pas question de leur imposer la honte de ma fuite loin de mes devoirs de fils cadet...
Il fit une pause.
Mais j'ai gardé quelques amis de mes parents qui sont des vétérans de la défense de Constantinople dans les années 30. Et depuis, j'ai fait de très bonnes connaissances, entre la Savoie, l'Helvétie et ici à Noirlac. Il se réhaussa sur le banc : Et vous, ici, à Noirlac, vous sentez-vous comme chez vous entre les vôtres ?

Je crois ma chère soeur que c'est aussi une forme de lâcheté. La destiné a imposé à mes parents ma vocation, ou plutôt mon rôle dans la société d'Aristote. N'ayant vécu que pour la théologie toute mon adolescence, quand j'ai été face à face avec mon existence esseulée, après avoir fui...
Je suis revenu au bercail. Il y a certainement autant de courage que d'instinct à vivre par le seul moyen que j'avais connu.

Il la regarda d'un air invoquant un soupçon de pitié :

-Vous m'excuserez de vous dire toutes ces choses. Mais c'est un peu comme les prémisses d'une confession, seulement elle est entre personnes pouvant se comprendre sans juger, non ?

Ne vos excusez point..Rassurez vos, les mots que vos m’avez confié ne sortira nullement de ceste piesce. Tout cecy restera entre nous, n’ayez nulle inquiestude.

Elle le rassura avec toute sincérité dans ses dires puis répondit à la suite au sujet du jugement. Elle décala sa main pour venir la poser sur la sienne, pour le conforter

Je ne puys vos juger ayant commis esgalement des fautes…nous sommes un peu pareil..nos chemins sont dyffesrents mays la fyn..se ressemble.

Le frère avait pris un long moment de réflexion à la suite ces paroles. Où, hormis en cet endroit, le silence aurait été libérateur au lieu d'être pesant ?

Synésios tapota avec gentillesse la main de la soeur et lui sourit. Cela le rendait tout chose de rencontrer une âme de son âge et traversée par le même destin. Autrefois, ses compagnons de routes n'avaient été que vieux barbons rigoristes des monastères et les instructeurs de la compagnie franche, guère plus amicaux. Mais certainement plus enclins au vice.

-Vous voulez donc fonder une famille ? Son visage s'illumina doucement. C'est une chose tellement honorable. Mais comment y parvenir en restant entre ses murs épais ? Vous devez certainement vous laisser du temps avant de chercher votre futur époux, j'imagine.

Il retourna à ses épluchures et quelques autres pensées alors qu'elle allait lui répondre.

Oh certes pas ma soeur ! Il se redressa pour donner de la conviction à ses paroles.
J'ai moi-même beaucoup parcouru les chemins menant aux alpages surplombant ma ville pour réfléchir, bien des fois. Les contrariétés terrestres daignaient m'y laisser tranquille quelques temps. Un des miracles de l'air vivifiant à n'en point douter !

Il se dit intérieurement que la demoiselle représentait un beau partie et de par son nom, son érudition cistercienne et ses manières fort douces. Mais il n'en parla pas, de peur de la vexer sur ce fameux nom, qui pour elle était un véritable fardeau. Du moins ce qu'il en avait compris.

-Vous trouverez le compagnon digne de votre âme, je n'en doute pas. Votre prétendant n'aura qu'à me demander et je lui dirai de bien bonnes choses à votre endroit. Ses propos frôlaient les mauvaises manières, mais il se sentait l'audace de les dire. Comme s'il comprenait la jeune soeur.

Non ma D.., ma soeur, se corrigea-t-il. Je me rends simplement compte que j'ai été grossier. Je n'aurais pas dû. Il tomba sur son regard si souvent bienveillant depuis le début de leur conversation.


Il est vrai qu'elle était fort gracieuse, et d'une délicate beauté qu'il avait rarement croisé. Non seulement au monastère où il n'y avait eu que des hommes, mais aussi en Savoie. Où les femmes étaient assez inconstantes. Il se trouva soudain idiot d'être debout, vexé comme un jeune homme qui n'avait pas encore vécu.

-Voulez-vous que je rajoute un peu de bois sur le feu ?

La jeune fille remarqua le trouble dans ces premiers mots lorsqu’il reprit la parole. Elle ne savait pas ce qui pouvait le bouleverser autant mais en guise de réponse, elle resta silence en lui adressant un sourire. Elle ne le trouvait pas grossier, oh sa non ! bien au contraire.
Ne voulant pas insister sur la réponse voyant sa gêne, elle lui répondit d’une voix douce, concernant le bois.

Ouy, je veulx byen.

Elle se décala quelques peus de la marmite pour le laisser remettre du feu tout en remuant a l’aide d’une grande cuillère en bois la soupe.