Un voyageur affaibli

L'abbaye ne recevant actuellement nul souffreteux, Eloin n'eut point besoin de chercher dans quel espace installer son patient. Elle en profita donc et mena l'homme jusqu'au réduit le plus proche de la cheminée, en ouvrit le rideau, et aida le voyageur à s'allonger sur le lit recouvert d'une couverture de laine. Une petite table garnie d'un broc et de quelques linges constituait le seul meuble en sus du lit, aussi amena-t-elle deux chaises de sa pharmacie.

Elle invita la soeur cuisinière à prendre place sur l'une d'elles après avoir été cherché son panier de soins, empli de diverses fioles, linges, et tout ce qui luy était nécessaire pour soigner les maux bénins.

Je reviens, souffla-t-elle à soeur Eilinn, avant d'aller s'activer devant l'immense cheminée de l'aula. Elle y alluma un bon feu, qui servirait à réchauffer la pièce, évitant ainsi au malade de souffrir du froid plus que ce qu'il n'avait eu à l'endurer au dehors, puys prépara une tisane aux vertus apaisantes. L'homme serait ainsi détendu lorsqu'elle entamerait les soins, en sus d'estre réchauffé par dedans...

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn accompagna la grande Prieuse et le nouveau venu jusqu'à l'hospice, ou elle s'aventurait pour la première fois. Elle regarda le lieu, et s'installa sur la chaise amenée par mère Eloin, tandis que celle-ci lançait un feu dans la cheminée.
Le regard d'Eilinn allait alternativement de la mère à l'homme étendu sur le lit. A part ses propres maux qu'elle savait soigner, Eilinn ne connaissait pas grand chose en sciences médicales, ainsi resta-t-elle sans moufter le temps qu'Eloin prépare ensuite une tisane.

Vous croyez qu'il va bien aller ?

Soutenu par Mère Eloin, Jules fit lentement le trajet entre la porte d'entrée et l'hospice. La marche lui fut pénible. Tout en lui criait de douleur mais sont cœur est plein de courage à l'idée que enfin le cauchemard se terminait. Un pas après l'autre, un souffle après l'autre, Il s'appliqua à tenir coûte que coûte. Les yeux rivés sur ses pieds, il ne vit rien de la splendeur des lieux qu'il traversa. Après un temps qui lui paru une éternité, on le fit rentrer dans ce qu'il perçu comme une grande salle et on le coucha sur un lit. Jules s'évanouit, vaincu par les épreuves de ces derniers jours.

Jules se réveille. Une odeur d'herbes, de feu de bois et d'autres parfums inconnus flottent dans l'air. Il est toujours étendu. Des pas résonnent dans la grande salle. Tournant la tête, il perçoit la présence rassurante de l'ange qui s'est présenté à lui sous le nom d'Eilinn. Il tend la main en sa direction et murmure :

Eilinn ? ....merci

Plus loin, beaucoup plus loin, près d'une grande cheminée, une autre personne s'active à une tâche inconnue. Sûrement Mère Eloin d'après le peu de choses qu'il a compris des conversations.

Citation :: Vous croyez qu'il va bien aller ?

A ces mots, Jules porte à nouveau son regard vers la présence à ses côtés. Il lui sourit timidement et dit dans un soupir :

ça va aller...

Jules ferme à nouveau les yeux. A reculons, au ralenti, il revoit les scènes de ces derniers jours. Mais la peur, l'angoisse l'a quitté. Ne reste que de la tristesse.

Oh mon Ours que t'ai-je fait endurer ! murmure-t'il tandis qu'une larme roule sur ses joues.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn se leva de sa chaise pour s'approcher de Jules quand elle entendit son prénom murmuré, et qu'il tenta de rassurer les deux femmes sur son état. Elle prévint la grande Prieuse qu'il revenait à la conscience après s'être un peu évanoui.

Mère Eloin, il se réveille !

La gamine se tourna vers l'homme allongé, qui semblait murmurer des choses pour lui-même. Elle espérait qu'il ne ressombrerait pas dans l'inconscience trop vite, elle croyait savoir que ce n'était pas toujours bon signe. Après un instant d'hésitation, elle se saisit de la main qu'il lui tendait, celle de l'homme, frigorifiée, contrastant avec celle d'Eilinn.

Messire Jules, vous rappelez-vous de ce qui s'est passé ? Quelqu'un vous a attaqué ?

Généralement quand quelqu'un annonçait qu'il allait à Noirlac, on s'attendait à ce qu'il passe une paisible retraite, avec quelques offices religieux entre-temps, pas à le trouver inconscient accrochée à la cloche de la conciergerie.

Y a-t-il quelqu'un que nous devons prévenir de votre présence ici ?

Nul ne savait depuis combien de temps il était dans cet état après tout, peut-être que des gens s'inquiétaient pour lui.

Eloin sourit aux paroles de la soeur cuisinière, tout en prélevant deux gobelets d'eau réchauffée.

Il devrait se porter mieux d'ici à quelques heures, puisque son état n'est point trop grave, ma soeur, mesme si une perte de connaissance se révèle souvent impressionnante.

Posant les deux gobelets au sol, elle s'agenouilla et versa dans le premier quelques racines de cardère, et deux feuilles de consoude, préparant ainsi une solution qui luy permettrait de laver les plaies du patient avant de les soigner.
Puys elle se saisit d'un mortier, et, à l'aide du pilon, la soeur herboriste écrasa une bonne dose de racines de consoude, bien connue pour ses vertus contre les gerçures et aultres affections externes de la peau ; à laquelle elle ajouta quelques gouttes d'huile et d'eau. Elle mélangea la préparation et laissa épaissir ce qui deviendrait un cataplasme, le laissant reposer au coin du feu.
Enfin, dans le second gobelet, elle déposa de l'aubier de tilleul, et revint auprès du patient avec cette décoction, au moment où l'homme semblait reprendre ses esprits. Elle laissa Eilinn l'interroger, puys enchaîna.

Prenez vostre temps pour répondre à soeur Eilinn, mon fils, sinon vous vous épuiserez de nouveau. Buvez ceci, c'est à base d'aubier de tilleul, je vous en ferais boire plusieurs doses ce jour, puys demain nous enchaînerons avec une infusion de prêle. Cette cure vous redonnera des forces, vous verrez !

Elle se tut un instant et l'aida à boire, puys alla mélanger une dernière foys le cataplasme, avant de le laisser à nouveau reposer près de l'âtre.

Je vais nettoyer vos pieds, puys j'appliquerais cette fomentation sur les plaies. Cela risque de ne guère estre agréable, mais je ne puys laisser vos membres inférieurs dans un tel état, et vous laisser courir le risque de développer des infections...

Les infections mal soignées, ou ignorées, entraînaient parfoys la gangrène, ce qui impliquait malheureusement l'amputation. Et cela représenterait, pour la médecin qu'était la Grande Prieuse, le synonyme d'un échec de ses soins. Autant se préserver d'une telle issue en s'appliquant !

Certains hommes ont parfoys besoin de boire un verre d'alcool fort, pour supporter la douleur des soins prodigués. Si tel est vostre cas, je pourrais vous servir un gobelet de chouchen, ou de calva.

Deux boissons très fortes, qu'elle gardait dans un placard dont elle avait toujours sur elle la clef, limitant ainsi les risques de se voir voler ces précieuses jarres par un adepte de la boisson, ou un malandrin peu scrupuleux !

Jules boit docilement la mixture odorante en écoutant Mère Eloin lui expliquer les soins qu'elle s'apprête à lui prodiguer. Il comprend qu'il est entre de bonnes mains. De temps en temps, il acquiesce d'un hochement de tête.

Citation :: Messire Jules, vous rappelez-vous de ce qui s'est passé ? Quelqu'un vous a attaqué ?

Si Jules se rappele ? Oui, les images tournent sans cesse dans sa tête. Son départ de Honfleur, la folie, le délire, les cauchemards. Oui, il se rappele de tout même si il n'a pas encore la force de tout remettre dans le bon sens, de comprendre ce qui s'est réellement passé. La mine triste, Jules contemple le visage de l'ange en lui serrant doucement la main, comme on tient un oiseau fragile. Elle parait jeune, très jeune et pourtant ce n'est pas une enfant. Après un long silence, il lui murmure :
- Oh si les choses étaient si facile ... C'est une bien triste histoire. Je ne sais si vous tenez à l'entendre.

Citation :: Y a-t-il quelqu'un que nous devons prévenir de votre présence ici ?

Quelle admirable attention ! Un instant, il revoit le visage de Bertille et de ses deux filles. Où sont-elles ? Que font-elles ? Pensent-elles encore à lui ? Sont-elles heureuses ? Jules chasse ces pensées. Plus tard, plus tard. D'une voix qui se veut rassurante, il lui dit :
- Non, personne ... personne ne s'inquiètera.

A nouveau, il porte son attention sur Mère Eloin. Elle lui parle de ses plaies, des risques d'infection. Il entend mais ne comprend pas. Est-il si mal en point ?

Citation :: Certains hommes ont parfoys besoin de boire un verre d'alcool fort, pour supporter la douleur des soins prodigués. Si tel est vostre cas, je pourrais vous servir un gobelet de chouchen, ou de calva.

- Point besoin d'alcool Ma Mère, Je tiendrai.
Qu'importe la douleur, se dit-il. Puis après une longue hésitation, il lui demande :
- Ma Mère, dites-moi ... ai-je blessé quelqu'un ?

Retraitant Nombre de messages : 80 Date d'inscription : 07/11/2010

Présente à l'abbaye pour un mariage, puis pour une visite hospitalière, la jeune blonde avait reçu une invitation à un séminaire ... pas qu'elle ne soit pas croyante, ni même bonne pratiquante, mais de là à se rendre à un séminaire un jour où elle avait initialement prévu de faire la fête, il ne fallait pas pousser. Et puis elle préférait quand ça bougeait un peu la Malone, et le séminaire ... je ne vous fais pas de dessin, n'est-ce pas ?

Elle avait donc regardé autour d'elle à la proposition de séminaire, cherchant ce qui aurait bien pu lui donner une bonne excuse pour s'esquiver. C'est ainsi qu'elle avait vu passer mère Eloin, dont elle ne connaissait pas encore le nom, croulant sous le poids d'un homme visiblement affaibli, et le mot était faible. Vous connaissez une meilleure excuse pour esquiver d'un seul et même coup mondanités et leçons ?

Coupant cour à toute discussion en cours, elle attrapa la main de son frère et ami en l'hospital, celui à cause de qui elle était là au départ, et l'entraîna de force à la suite du blessé, de sa soigneuse et de la jeune Eilinn. Le temps d'arracher le jeune homme pas franchement frêle à sa discussion, et de les rattraper, le blessé était déjà sur une couche, et les soins commençaient. Autant dire que jeunes ils l'étaient, rapides pas tout à fait.

Excusez-moi ? J'ai cru apercevoir que messire est blessé ... je ne suis pas médicastre, mais j'ai quelques notions élémentaires, je pourrai peut-être vous aider, si vous le souhaitez ?

Alors que Mère Eloin allait commencer les soins, Jules entend la porte de la grande salle s'ouvrir. Les rideaux autour de lui s'envolent paresseusement dans le courant d'air frais. Jules tourne la tête. L'ombre d'une jeune femme se découpe à contre-jours dans l'ouverture de la porte, une chevelure blonde flottant sur ses épaules. Cette voix ! Cette grâce ! Cela ne se peut ! Jules resserre la main de Soeur Eilinn, pris de panique. Son corps se raidit, sa respiration devient haletante.

- Arthellais ? Toi ? Ici ?

Se retournant vers Sœur Eilinn et Mère Eloin, les yeux écarquillés :

- oooh, nooon, s'il vous plait, pas ma fille ! Ah Seigneur qu'ai-je fait ! Pourquoi rajouter l'humiliation à mes souffrances ?

Jules se cache le visage.

- Seigneur, Je suis un misérable ! J'implore votre pardon. Oh mon Ours que t'ai-je fait !

Dans une vaine tentative d'échapper à la vision de la nouvelle venue, il se tourne sur le côté, se met en boule comme pour disparaitre dans le lit même et et se met à pleurer. Ses deux mains serrées autour de celle de Sœur Eilinn :

Seigneur, oooh Seigneur, donnez-moi ce qui vous reste,
Donnez-moi ce que les autres ne veulent pas,
Mais, oooh Seigneur, donnez-moi le courage, la force et la foi.

Eloin hocha la teste à la réponse du jeune homme, signe qu'elle avait ouï son refus de prendre un verre d'alcool avant le début des soins. Elle prit donc un linge propre sur la table jouxtant le lit, et le plongea dans la solution de cardère et de consoude, avant de l'appliquer sur les plaies tapissant ses pieds, preuves d'une longue marche sur les chemins froids et secs.

Ma Mère, dites-moi ... ai-je blessé quelqu'un ?

La moniale s'interrompit alors qu'elle s'apprêtait à tremper le linge dans la lotion, puys jeta un bref regard à soeur Eilinn.

Ma foy, voila demande à laquelle je ne saurais guère apporter de réponse, mon fils. Vous sembliez estre parvenu seul jusqu'à la porte de nostre abbaye, et je n'ai point eu d'échos d'une quelconque rixe ayant eu lieu récemment dans le domaine abbatial !

La Grande Prieuse savait de quoi elle parlait, puisque, en l'absence d'intendant, c'était elle qui avait repris la gestion du domaine sous son aile, domaine qui regroupait les terres cultivables et les fermes des paysans résidant sur le territoire de Noirlac. Elle avait d'ailleurs confié au doyen de chaque village, le soin de luy rapporter tout évènement suspect ou susceptible de le devenir, et nul ne luy avait envoyé de vas-y-dire pour un quelconque rapport...

Le bruit d'une course l'empêcha de reprendre les soins là ou elle les avait arrêtés, et elle haussa un sourcil en voyant une femme entrer dans l'aula, s'approchant de la couche ou reposait le voyageur mal en point. S'il n'avait tenu qu'à elle, Eloin aurait laissé la nouvelle venue assister aux soins ; mais, lorsqu'elle constata la réaction de Jules à la vue de la blonde jouvencelle, le sang de la soeur herboriste ne fit qu'un tour.
Laissant de nouveau Eilinn veiller sur leur protégé, elle rejoignit celle qui semblait se nommer Arthellais.

Donaiselà, je crains de ne pouvoir vous laisser voir mestrè Jules, au vu de son agitation en vostre présence. Vous pourrez revenir le voir quand il sera soigné et apaisé, n'ayez crainte.

Elle eut un bref silence, puys reprit, après avoir jeté une oeillade songeuse au blessé.

Il semble ne point se souvenir des récents évènements qui luy sont arrivés, il nous a notamment demandé s'il avait blessé quelqu'un... Savez-vous de quoi il retourne ? J'aimerais beaucoup comprendre pourquoi il semble si perdu et si peu sur de luy-mesme...

Retraitant Nombre de messages : 80 Date d'inscription : 07/11/2010

D'abord saisie par la réaction du blessé, la blonde réunit tous ses neurones pour les mettre en ordre de marche. Oui, vous avez bien compris, elle pencha la tête.
Non, elle ne l'avait décidément jamais vu, ni entendu parler d'un homme accompagné d'un ours en dehors des montreurs d'ours qui traversaient parfois les villages. Le nom d'Arthellais ne lui évoquait rien non plus, même en tentant d'imaginer ce nom dans la bouche de sa mère. Quand à son père, il était jusqu'à présent désigné d'un nom précis, avec une tête qui lui avait été montrée, c'était un blond frêle, comme elle, ce qui n'était manifestement pas le cas de l'homme alité.

Au chuchotement de la Grande Prieuse, elle répondit sur le même ton.

Ma mère, il y a méprise sur la personne, si je ne peux rester pour les soins, je peux au moins rassurer cet homme sur ce fait, je ne l'ai jamais vu, mais je connais le nom et l'aspect de mon père, ce n'est pas lui. Par contre, je n'ai aucune idée de ce qui a pu lui arriver, j'avoue être interpelée également ...

Puis, haussant suffisamment la voix pour être entendue, elle ajouta à l'adresse de Jules, tentant d'avoir dans la voix tout l'apaisement qu'elle souhaitait lui apporter.

Messire, je ne suis pas cette Arthellais dont vous semblez craindre la présence. Mon nom est Malone Fortunat de Montbazon-Navailles, et vous ne ressemblez pas à mon père.
Je venais simplement parce que dans les valeurs qui sont miennes il y a d'aider son prochain, et que j'ai suffisamment de connaissances je pense pour assister votre médicastre si elle le souhaite.

Regard en arrière vers la porte pour voir si son blondinet suivait, puis elle décida de continuer quoiqu'il advienne.

Messire, calmez-vous, nul ici ne vous veut du mal, et être blessé n'est pas une honte.
Vous avez parlé d'un ours ... êtes-vous montreur d'ours ? Est-ce votre ours qui vous a blessé ?

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn n'eut pas le temps de questionner plus avant le voyageur qu'une jeune femme se présentait à l'aula pour proposer son aide. La réaction de Jules fut alors assez surprenante et inquiétante, tandis qu'il était saisi de panique.
Eilinn se trouvait un peu désarmée face à la situation, ne sachant pas comment calmer l'homme agité. Elle tenta de lui murmurer des paroles apaisantes, tandis que la jeune femme, Malone, d'après ses paroles, garantissait qu'elle n'était point du sang du visiteur.
Jules serrait toujours ses mains, et Eilinn ne tenta pas de se dégager, se disant que cela risquait encore plus de l'agiter.

Allons, calmez-vous, vous ne craignez rien ici.

Peu à peu, Jules s'apaise. Les ombres reculent. Les délires qui l'assaillent depuis tant de jours, cette fois, n'ont pas raison de lui. Est-ce l'environnement calme et accueillant de l'Aula ou les bons soins de Mère Eloin, la présence bienfaisance de Soeur Eilinn ou encore la voix calme mais assurée de la nouvelle venue ? Jules sent sa respiration se calmer, son cœur ralentir. Son corps se relâche peu à peu au son des voix qui l'entourent. Il ouvre les yeux et se retourne, fixant tour à tour les personnes présentes autour de lui. Jules laisse retomber sa tête en soupirant. Le regard perdu au loin dans les colonnades majestueuses de la grande salle :
- Malone ? alors vous n'êtes pas .. ? Un instant j'ai cru que .... Veuillez me pardonner.
Lorsque Dame Malone lui parle d'ours, jules se met à rire doucement :
- Montreur d'ours ? Oui Dame. du moins je le fus par le passée. Il y a longtemps. Je fus Jules Kiesilgur dit l'Ours, fier soldat de l'Ost Armagnacais, vaillant libérateur de Bordeaux et de Saint-Bertrand, pilier de taverne, bagarreur, bretteur, sabreur, grande gueule, voltigeur et saltimbanque à ses heures ... "Une main sur le cœur et l'autre sur la poignée de l'épée", tel était mon crédo ... Tel était l'Ours, tel fut-il connu en ces lointaines régions...il y a longtemps. Alors, oui, je fus montreur d'ours, d'une certaine façon.
Jules souffle quelques instants, les images défilent dans sa tête. Il reprend, amère :
- ... Mais l'Ours n'est plus. Je l'ai vaincu devant Noirlac. Paix à toi, l'Ours.
Se retournant vers Mère Eloin, il dit d'une voix plus calme :
- Quand je rencontrai Bertille de Nivellus, ce fut le coup de foudre. Elle était belle et douce. C'est elle qui la première me surnomma affectueusement l'Ours. Elle était diaconesse à l'époque. Elle me parla du Très Haut, m'amena à fréquenter l'église et même me baptisa à Tarbes. Ensemble, suivant Monseigneur Arthur de Nivellus, son frère, nous nous rendîmes en Helvétie où j'eus le grand bonheur de prendre Bertille pour épouse. J'eus même l'honneur d'être nommé chanoine à Lausanne et sous les conseils de mon beau-frère, de rentrer au séminaire de Vienne. J'étais en paix, l'Ours était loin.
Jules fit une pause, Il était à bout de force. Parler lui était difficile. Il tendit la main vers un gobelet posé à côté de lui et le vida d'un trait.
- Je dois parler ... je dois vous dire ... Où en étais-je ? Ah oui, Lausanne.
La mine grave, Jules poursuit :
- Lausanne, mon Dieu, quel cauchemar. L'église vide, la Réforme, les lions de Judas. D'un coup, je fut projeté dans un univers que je ne comprenais pas, pour lequel je n'avais pas été formé. Mon professeur au séminaire, Monseigneur Chapoto, pour qui j'avais beaucoup de respect, ne pu hélas m'être d'aucun secours, lui même souffrant d'un mal qui le cloua au lit de nombreuses semaines. C'est alors que l'Ours refit son apparition. Fort heureusement, nous quittâmes l'Helvétie pour la Normandie.
Une larme coule sur la joue de Jules...
- La Normandie, L'Ours avait repris ses habitudes, se pavanant dans les tavernes, insouciant, paresseux, oubliant ses études et le séminaire, négligeant son épouse et ses enfants. Un jours, Bertille m'informa qu'elle avait été nommée évêque et que le Très Haut requérait sa présence à Lausanne. Le mariage était d'un coup dissout. Je m'effondrai. Avais-je tant déçu le Très Haut qu'il m'infligeait ce châtiment ? Je devins comme fou, mon monde s'écroulait. Mais me rebeller ne servait à rien, le Très-Haut avait parlé. Vaincu, au bord du chaos, je me réfugiai de longs mois chez les moines pour méditer sur mon passé.
Jules marque une courte pause pour reprendre son souffle.
- Sorti il y a peu de chez les moines, tel ne fut pas ma tristesse de voir qu'une de mes filles, Arthellais, avait disparu et que l'autre, Julie, s'adonnait au brigandage. Je compris alors que mon ancienne vie était bien derrière moi. Mon ex-femme me proposa bien de reprendre mes études au séminaire de Vienne, où elle professait et même une place à Lausanne près d'elle. Je déclinai l'invitation, cela m'était trop douloureux. C'est ainsi qu'après m'être informé, je décidai de prendre la route de Noirlac, résolu à reprendre ma formation à zéro. Les valeurs cisterciennes de charité, foi et exemplarité semblant me convenir au mieux.

- Pendant mon voyage, je reçu une missive du baron Nkhan de Saint Säens, mon ancien capitaine qui guerroyait dans le sud. Il me proposait de le rejoindre pour servir sous ses ordres. L'Ours en moi en fut évidemment flatté. A ce moment, le doute me prit. Tout en chevauchant vers l'abbaye, je méditai sombrement sur mon avenir. Devais-je répondre au baron ? Ou devais-je me rendre à Lausanne ? Ou encore suivre la route que j'avais choisi ? Je sentai l'Ours bouillonner de rage en moi. Jusqu'à cette funeste nuit d'orage où je fus pris de délire. La bête, l'Ours était devant moi, me narguait, me harcelait sans cesse. Je crois qu'à partir de là je perdis la raison.

- J'ai le souvenir d'avoir tué mon cheval, le prenant pour un ours, d'avoir crié, prié, pleuré de longues nuits. J'ai erré de jour comme de nuit dans la campagne, poursuivi par mes démons. J'ignore comment mais je finis par me retrouver à votre porte. Une dernière fois, l'Ours revint me tourmenter, mais je tins bon. Dussé-je en perdre la vie même, mais je ne voulu plus plier. L'Ours se retira, vaincu. Maigre victoire à en juger par mon état. Victoire à la Pyrrhus en somme. Mon Dieu, faites que je n'ai blessé personne.

Jules en avait fini, épuisé d'avoir tant parlé.

Jules n'avait plus rien à dire, il avait tout dit, trop dit même peut-être. Il jette un regard à la ronde. Le silence qui règne dans la grande salle l'oppresse. Personne ne dis mot. Ni Soeur Eilinn, toujours assise à côté de lui, ni Mère Eloin ou dame Malone. Elle restent là, les yeux baissés, semblant prier.

Il porte son regard sur le feu qui brule dans la grande cheminée et se perd dans ses pensées. Et si tout n'était qu'illusion, si il était encore devant la porte de l'abbaye ? Cadavre froid dans la froideur de la nuit.

Cette fois-ci, se fût son tour d'être tiré par le bras. Il n'eut pas tellement le temps de réfléchir et suivit Malone sans trainer des pieds. Ils arrivèrent près de l'homme et des religieuses qu'il salua comme il se doit. Puis il resta silencieux aux cotés de Malone. Soudain l'homme fixa la blondinette et la prit pour une certaine "Arthellais".

Messire, je peux confirmer ce que dit cette Dame, elle se nomme bien Malone.

Puis la discutions dériva sur une histoire d'ours.

De quel ours parlez-vous ? Est-ce lui qui vous a mis dans cette état ?

Le moment était mal choisi pour lui poser autant de questions. Velden croisa le regard de Malone essayant de connaitre sa pensée au sujet de toute cette histoire.

Jules sourit timidement à l'homme puis, d'une main tremblante montre successivement sa tête et son cœur.

L'Ours, messire, il est là ... et là...

Il était en moi, il faisait partie de moi, il était une facette de moi. Comme je viens de vous l'expliquer, Je fus cet homme qu'on appelai l'Ours à cause de mon caractère, de mes vices et de mes péchés et je le paye à présent... Je le paye cher

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn était restée silencieuse après l'étrange histoire de Jules. Pendant un instant, le temps avait été suspendu, avant qu'un jeune homme accompagnant la blonde appelée Malone, ne rompe l'enchantement suscité par les paroles du voyageur blessé. Elle répondit à la dernière interrogation laissée en suspens.

Je n'ai point eu écho que vous ayez blessé qui que ce soit près d'ici. Je vous ai trouvé accroché à la cloche de l'abbaye, inconscient, et vous étiez blessé. Peut-être que vous vous êtes blessé seul, dans votre accès de ... folie...

Alors que Mère Eloin reprenait les soins du blessé, Eilinn eut une idée.

Souhaitez-vous que je prévienne le Baron de Saint Saens ? Je le connais un peu, peut-être serait-il heureux de savoir que vous êtes entre de bonnes mains à Noirlac ?

La moniale n'eut qu'un bref hochement de teste en réponse aux paroles que luy murmura la jeune Malone. Elle la laissa échanger quelques mots avec le blessé, tout en gardant un oeil sur l'homme se tenant dans l'entrée, et semblant avoir accompagné la blonde jouvencelle.

Voyant que Jules semblait se calmer, Eloin reprit ses soins là où elle les avait arrêtés, et entama le nettoyage du second pied.
C'est alors que l'homme entama un récit, longue tirade contant ce qu'il était avant son arrivée à l'abbaye, et ce qu'il semblait avoir affronté. La médecin comprit que l'homme n'avait pas tué d'ours, mais qu'il avait subi une sorte de possession qui luy donnait l'impression d'estre ce puissant animal. Le cas était intéressant, et elle se promit de garder l'homme au seing de l'hospice aussi longtemps que nécessaire, afin de pouvoir l'observer autant que faire se pouvait. Il existait tant de cas de possession et de folie qu'il était parfoys malaisé de trancher entre ces deux affections, pourtant il ne fallait point se tromper dans le diagnostic, car le traitement et sa réussite en dépendaient...

Un long silence tomba sur l'aula lorsque le patient se tut, la Grande Prieuse ne sachant que répondre après pareil aveu, complet et sincère. Elle laissa donc la soeur cuisinière parler, et en profita pour aller chercher le cataplasme qui finissait de durcir. D'un geste vif, elle renversa le gobelet dans la paume de sa main libre, et malaxa la pâte entre ses doigts pour l'amollir, de manière à pouvoir l'utiliser plus facilement.
Ensuite elle divisa le tout en deux, et appliqua chacune des fomentations sur les plaies, enveloppant ainsi les deux pieds du malade avec la mixture.

Voilà qui suffit pour ce jour, je laisse poser le temps nécessaire avant de retirer les cataplasmes. En attendant, il vous faut un repos absolu, et je vous défend de poser le pied au sol avant que je n'ai bandé vos plaies ! Déclara-t-elle d'un ton qui ne souffrait nulle réplique. Avez-vous d'autres blessures que je n'aurais remarqué ?

Elle n'avait point eu le temps de déshabiller son patient, et le faire devant la jeune Melani ne l'enchantait guère : elle avait deviné que la vicomtesse était, sur ce point, aussi ignorante des choses du corps masculin que sa filleule à la veille de ses épousailles ! Inutile donc de la choquer en luy imposant la vue d'un homme nu...

Vous avez accompli un dur travail sur vous-mesme, mon fils, aussi est-il important de vous reposer et de recouvrer quelques forces. Nous reparlerons de tout cela dans quelques jours, j'ai pour coutume de ne point mélanger les soins du corps et ceux des âmes.

Mère Eloin avait dit vrai. La douleur du traitement est à peine supportable mais Jules était trop faible pour rechigner. Stoïquement, il serre les dents. Et puis la présence de Soeur Eilinn à ses côtés le rassure. Elle lui fait la conversation, tentant par ses questions d'attirer son attention sur autre chose. Lorsqu'elle parle du Baron, une pensée lui vient. Personne ne sait qu'il est là ! Peut -être qu'après tout ...

- Ma Soeur, je crois que vous avez raison. Si vous pouviez prévenir le Baron Nkhan de Saint Säens que son soldat est arrivé sain et sauf. Il me savait parti pour l'abbaye, il doit s'inquiéter de mon silence.

Une petite voix s'insinue alors dans sa tête, insistante : "Il y a bien quelqu'un d'autre qui s'inquiète Jules ! Mais auras-tu le courage ? Ou bien es-tu encore un Ours au point d'ignorer ta tendre Bertille ?" Une larme coule. Se rapprochant un peu de Soeur Eilinn, serrant doucement sa petite main, il lui murmure à l'oreille :

- Oh ma Soeur, si vous pouviez ... Prévenez Mgr Bertille de Nivellus à Genève. Dites-lui que son Jules va bien et que l'Ours n'est plus. La pauvre ! Cela fait si longtemps qu'elle attend de mes nouvelles. Je m'en veux tellement...

Les yeux plein de larmes, il fixe un instant le visage compatissant de la soeur :

- ...Vous lui expliquerez ? N'est-ce pas ?

Les soins sont à présent finis. Jules écoute les dernières recommandations de la sage Mère Eloin acquiesçant de temps en temps d'un hochement de la tête . Oui, on reparlera de tout ça plus tard. Pour l'heure, il sent une grande lassitude l'envahir. Lentement, doucement, Jules sombre dans un profond sommeil sans rêve ni cauchemar...

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Quelques jours après, Eilinn emprunta quelques pigeons pour prévenir les deux personnes sus-mentionnées de la présence de Jules Kiesilgur au sein de l'Abbaye.

Autant il avait été aisé de trouver le lieu de résidence du baron Nkhan, puisqu'elle le croisait régulièrement à l'AAP, autant la jeune fille avait du fouiller dans la paperasserie de la Nonciature Apostolique pour trouver le nom et le lieu de résidence de Bertille de Nivellus.
Finalement les deux missives étaient parties, et il ne restait plus qu'à attendre une réponse, ou une venue.

Eilinn retourna donc voir comment se portait le voyageur, lui amenant un repas composé de viande, puisqu'il était affaibli, d'un peu de vin, et d'une soupe au potiron.
Elle déposa le tout sur une tablette, avant de le saluer.

Comment vous portez-vous aujourd'hui, messire Jules ?

Les jours qui avaient suivit son entrée à l'aula avaient été pénibles pour Jules mais depuis quelques jours déjà sa santé s'améliorait. Il passait le plus clair de son temps à dormir, lire et prier seul dans le silence et la paix. Les jours se suivaient et se ressemblaient. La souffrance, la tristesse, la colère peu à peu s'effaçaient, les cauchemars se font de plus en plus rares. Mère Eloin passait tout les jours pour changer ses bandages et lui administrer des soins. Parfois même pendant qu'il dormait.

De temps en temps, lorsqu'il est sûr d'être seul, il sort de son lit pour faire quelques pas. La première fois, il ne put que faire le tour de son lit mais à présent, il peut aller jusqu'à la fenêtre pour regarder au dehors. Heureusement que Mère Eloin ne le sait pas. Il se ferait gronder sévèrement.

Aujourd'hui, au lieu du moine silencieux qui habituellement venait lui apporter ses repas, Jules est tout content de voir arriver Sœur Eilinn. Il l'accueille avec un grand sourire :

- Oh ! Ma Sœur, quelle surprise ! Je vais bien, merci ! Et vous ? Cela me fait très plaisir de vous voir. Vous resterez bien quelques minutes.

Jules referme le livre de grec qu'il étudiait, se redresse dans son lit et tente désespérément de paraitre moins misérable possible. Ce n'est pas tout les jours qu'il pouvait parler à quelqu'un.

- aaah ! La soupe ! Au potiron, vous me gâtez ma sœur, c'est ma préférée. Vous êtes un ange ...

A ces mots Jules baisse les yeux, un peu gêné.

- Vous savez Ma Sœur, je vous ai vraiment pris pour un ange le premier jours. J'en suis confus. Je n'étais pas moi-même.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

La gamine était ravie de voir que le malade semblait recouvrer du tonus.

Je vais très bien merci ! Et oui, je suis venue voir si vous alliez mieux, je suis heureuse de voir que votre santé s'améliore.

Eilinn ramena un tabouret près du lit, et s'installa dessus. Elle eut un petit gloussement de rire aux paroles de Jules.

Il n'y a pas de problème vous savez... c'est plutôt flatteur ! Mon père me considère plutôt comme un petit démon pour le faire tourner en bourrique. Au moins cela fait un équilibre !

La môme se calma, et reprit d'un ton plus doux.

J'ai écrit au baron de Saint Saens, qui m'a assuré qu'il viendra à Noirlac vous rendre visite ! Il semblait heureux d'avoir de vos nouvelles !

- hihihi, les démons, les anges, le bien le mal ... hum ...bien sage celui qui sait faire la différence tant la limite est parfois floue. Et puis tout est une question de point de vue. Par exemple, vous savez que pour la carotte, le lapin est la parfaite incarnation du mal ?

Jules regarde soeur Eilinn en riant.

- ... et les petits démons se transforment en petits anges ... dit il en lui faisant un clin d'oeil.

Il repense à sa fille Juju. Presque le même âge, même vivacité d'esprit, même maturité précoce. Quand sœur Eilinn lui parle du baron, Jules prend une mine surprise.

- Il vient ici ? Il doit drôlement s'inquiéter pour faire toute cette route. J'espère qu'il ne croit pas que je suis à l'article de la mort. Ce cher baron, il me tarde de le voir ... Et Bertille ? j'espère qu'elle a reçu votre missive ...

Fermant un instant les yeux, il murmure une prière puis se signe.

- Bon, attaquons ce délicieux repas voulez-vous ?

Jules mange avec appétit tout en parlant. Trempant son pain dans la soupe fumante.

- Quand croyez-vous que mon état me permettra de sortir un peu ? J'aimerai prendre l'air et j'ai hâte de m'inscrire au séminaire. J'ai fini tout les livres que j'avais. Ne me reste que ce livre de grec, bien trop difficile pour moi.

Dites-moi, je pensais à ça hier : si je pouvais vous aider dans les tâches de l'abbaye, j'en serait content. Vous êtes tous tellement gentils avec moi, il me semble que ce serait normal. Jardiner, peler les pommes de terre, ou la vaisselle ? Je ne crains pas le travail, vous savez et cela m'occupera. "men sana in corpore sano" comme on dit, n'est-ce pas ?

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

J'ai bien dit au Baron de Saen que vous alliez mieux, j'imagine donc que c'est par pure amitité qu'il vient vous voir.
Pour la missive de Mgr Bertille, je pense qu'elle l'a bien reçu, mais pour l'instant je n'ai pas encore eu de réponse de sa part.

Tandis qu'il commençait à manger, Eilinn pousuivit.

Pour votre état, je pense qu'il faudrait voir avec mère Eloin, mais je doute qu'elle voit un inconvénient à ce que vous repreniez vos études. Vous souhaitez faire quelles études au séminaire si ce n'est pas indiscret ?

Pour les tâches que vous pourriez faire dans l'Abbaye, quand vous serez parfaitement remis, nous en reparlerons je pense. L'essentiel est pour vous présentement de retrouver toutes vos forces.

La môme hésita un instant, et posa la question qui la taraudait.

Est-ce que... l'ours est revenu depuis l'autre fois ?

- Ce n'est pas indiscret ma sœur. J'aimerai beaucoup suivre la licence en Aristologie afin de devenir prêtre un jours. Servir le Très Haut, guider mes semblables sur la voie, c'est mon vœux le plus cher.

Jules était content d'apprendre que bientôt, il pourrait sortir un peu, s'aérer et peut être œuvrer pour cette communauté qui l'avait si bien accueilli. Lorsque Sœur Eilinn, d'une voix hésitante, lui demande si l'Ours est revenu, Jules pose lentement son bol sur la petite table à côté de son lit et regarde la sœur avec plus d'attention :

- Non, non, il n'est pas revenu, n'ayez crainte, et j'espère que cette fois, j'en suis débarrassé. D'ailleurs, si d'aventure il revenait, cela signifierait que toute cette lutte contre moi-même n'aurait servi à rien et que je ne suis pas à ma place ici, n'est-ce pas ? Mais cela vous inquiète on dirait ! Avez-vous d'une quelconque façon peur de l'Ours ?

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Alors je vous souhaite bonne chance pour le séminaire dans ce cas, peut-être nous croiserons-nous dans les couloirs, j'enseigne parfois quand il y a beaucoup de séminaristes...
Dès que vous vous sentirez apte à l'étude théologique, vous pourrez aller au bâtiment St Benoit je pense... C'est un but très noble que celui que vous vous donnez, et j'espère que cela vous apportera la paix.

Jules la rassura ensuite sur le devenir de l'Ours.

Oh oui, je m'inquiétais un peu, mais si vous me dites que vous vous en êtes débarrassé, cela me convient ! Il fallait admettre que vous faisiez un peu peur le premier jour avec toutes ces blessures...
Je vais vous laisser finir de manger, si vous avez des envies de sortie dans l'abbaye, n'hésitez pas à demander à Mère Eloin en tout cas !

Retraitant Nombre de messages : 13 Date d'inscription : 20/12/2010

Arrivant d'un pas pressé...
Il avait revêtu, pour une fois, une tenue assez "correcte"..une tenue civile, chose rare, lui qui revêtait plus souvent l'armure que le pourpoint..

L'on lui avait désigné l'aula...
L'air soucieux, il arriva devant la porte, et attendit un moment devant...anxieux pour son ami..

Puis il leva le bras, et frappa...

La moniale passait plusieurs fois par jour changer les pansements du retraitant, parfois en coup de vent parce qu'elle était pressée par ses autre occupations au seing de l'ordre ; autrement elle passait un peu de temps avec luy, discutant de tout et de rien pour s'assurer qu'il recouvrait autant sa santé physique que morale.

Ce jour-là, elle rentrait du marché se tenant sur la grand-place du village voisin. Elle y avait acheté des graines et plantes qui ne se trouvaient point en région berrichonne, donc à prix élevé, mais dont elle avait besoin pour ses fomentations et autres mixtures médicinales. Elle était heureuse, cependant, car l'apothicaire ambulant luy avait fait un bon prix, lorsqu'elle luy avait expliqué que ses achats serviraient à préparer les soins pour les moines et retraitants de son abbaye.

Alors qu'elle empruntait le chemin de l'hospice, son panier empli de simples à la main senestre, elle remarqua la silhouette d'un visiteur devant la porte de l'aula. Elle pressa donc le pas afin de luy ouvrir la porte et ne point le laisser dans le froid et la neige trop longtemps, puys se présenta une foys que la lourde porte de chêne fut refermée derrière eux.

Bonjorn, messer. Je suys mère Eloin, Grande Prieuse et soeur herboriste. Je suppose que vous venez voir mestrè Jules ?

Retraitant Nombre de messages : 13 Date d'inscription : 20/12/2010

Alors qu'il s'attendait à ce que silhouettes et voix se pressent devant lui, c'est par derrière que vint le timbre d'un gosier féminin..

Bonjorn, messer. Je suys mère Eloin, Grande Prieuse et soeur herboriste. Je suppose que vous venez voir mestrè Jules ?

Se retourna, pour apercevoir l'habit feutré d'une nonne, tenant un panier dans la main..la scène dura 30 bonnes secondes, comme si le froid avait engourdi le cerveau du Baron barbu...se secouant finalement la tête il se mit en quête d'une réponse..

Bonjour ma soeur..inclinaison du buste en avant, en signe de salut..
Je suis Nkhan, Baron de Saint Säens, Seigneur de Mesnil-Mauger, et surtout ami de Jules que..je viens en effet visiter..

J'ai reçu missive de la part d'Eilinn Melani, avec qui je converse parfois dans des circonstances autres...elle m'a conté que mon ami était ici..en proie à quelques humeurs folles...J'ai..j'ai fort à faire en ce moment...mais mes amis passent avant toute chose..alors..oui je suis là pour le voir..puis-je?

Eloin hocha brièvement la teste après que le noble visiteur eut confirmé son intuition, et poussa la porte de l'aula.

Je venais justement rendre visite à mestrè Jules, qui se remet fort bien, d'ailleurs. Ses humeurs se sont apaisées depuys qu'il séjourne en nos murs, il semble beaucoup plus calme que lors de son arrivée.

Une foys qu'ils furent tous deux entrés dans l'hospice, elle referma la porte derrière elle, puys désigna le réduit tout au fond de la salle, près de la cheminée. C'était d'ailleurs le seul dont le rideau était fermé, ce qui signifiait que la petite chambre était occupée par un malade. Elle distingua les signes d'une discussion entre le patient et la soeur cuisinière lorsqu'ils parvinrent à quelques pas du rideau tiré, et se retourna vers le baron.

Je vous laisse rejoindre vostre amy, je crois bien avoir reconnu la voix de soeur Eilinn en sus de la sienne... J'ai quelque fomentation à préparer au seing de la pharmacie, je passerais voir mestrè Jules ensuite.

Puys, après un signe de teste, elle s'éloigna et disparu derrière la porte se trouvant à dextre de la cheminée dans laquelle le feu avait été ranimé depuys peu.

Jules entend la porte de l'aula s'ouvrir, des pas, des voix, une conversation. Il reconnait bien sûr mère Eloin mais l'autre, quelle est elle ? Cette voix grave, forte, posée lui rappelle quelque chose. Une voix qui sent bon la Normandie avec cette petite touche du sud. Serait-ce ...?

Les rideaux lui cachent la vue. Jules se redresse sur son lit, se met assis et, tendant son bras au maximum, écarte le rideau. Un homme s'approche, silhouette massive, barbue, la démarche noble, c'est ... hé bien oui, à n'en pas douter, c'est bien lui !

- Baron Nkhan ? C'est bien vous ? Aaaaah que ça me fait plaisir !

Jules fait un bond de joie, oubliant un instant sa faiblesse, saute sur ses deux pieds et fait quelques pas maladroits en direction de son ami pour finir par trébucher et s'accrocher au bras du baron.

- Oups ! Pardon Baron. Je crois que je présume de mes forces. Mais venez, asseyez-vous. Ah mon Dieu que je suis content de vous voir.

Tout en parlant, Jules présente une chaise à son invité.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn s'éclipsa discrètement pour laisser les 2 amis se retrouver.

Retraitant Nombre de messages : 13 Date d'inscription : 20/12/2010

Il accepta l'invitation de la nonne d'un signe de tête, puis un bruit de sommier qu'on maltraite...une voix, reconnaissable parmi tant d'autres..le voile se découvre, et un Jules se dresse, la joie sur le visage d'un homme qui parait très faible...
Il se met sur ses deux pieds et s'avance avant de trébucher et de se rattraper au bras d'Nkhan...

Un sourire que le Baron en voulait pas afficher s'inscrit malgré lui sur son visage, celui d'un homme peiné de voir un ami en souffrance.
Il accepte l'invitation, et d'un geste doux, chose inhabituelle chez un gros bourrin de militaire comme lui, aide d'abord kiesilgur à se replacer..
Puis il s'assoit et, plongeant un regard profond dans celui de son ami, quelques phrases sortirent de sa bouche.

Jules, mon ami, c'est un plaisir de te voir aller mieux...mais, tu m'excuseras de te poser la question de but en blanc...que s'est-il passé?

- Ah Baron, c'est une étrange histoire.

Jules resta silencieux de longues minutes, essayant de rassembler ses idées afin de présenter les faits de manière simple et objective. Oui mais, justement, rien n'étais simple. Sachant le Baron fort peu versé dans la spiritualité, il redoutait la façon dont il allait prendre cette histoire.

- Figurez-vous que j'étais en route pour l'abbaye, bien décidé à reprendre mes études. La route était longue entre la Normandie et le Berry. Voyageant seul, j'eus tout le temps pour réfléchir. J'étais tiraillé entre reprendre ma vie passé et tirer un trait dessus pour aller de l'avant. L'humeur était à la tristesse. Sans nouvelle de Bertille ni de mes filles, hésitant quant à la voie à prendre, je me suis mis à prier pour tenter de me rapprocher du Très Haut.

Un soir, je campais en pleine nature. Pendant ma prière, je vis apparaitre devant moi un ours. Mais pas l'animal, non, non, l'Ours ! Vous vous rappelez surement qu'en Armagnac on me surnommait l'Ours. Hé bien c'est lui qui m'apparut.

Comme une émanation de moi-même, la part sombre de mon âme se tenait devant moi, me narguait, m'insultait, m'exortait de faire demi tour. Sans hésitation, pris d'une rage folle, je me ruait vers lui et l'abattit à grand coup de hache... Je me suis réveillé le lendemain. Mon cheval gisant mort non loin de moi. Nulle trace de la bête par contre.

Fort ébranlé par cet évènement, je repris de plus belle ma route vers l'abbaye. A pied cette fois. Coupant à travers monts et vaux. Les nuits suivantes furent bien pires. A chaque fois, l'Ours m'apparu, plus décidé à me barrer le passage.

J'ignore comment, mais je pu rejoindre l'abbaye. Soeur Eilinn me recueillit un matin, agrippé à la cloche de la porte. Je n'étais plus qu'une épave humaine. Avais-je déliré ? Avais-je été pris de folie passagère ? Ou avais-je vraiment vu une forme du Sans Nom ? je ne sais vous le dire.

Depuis, grâce aux bons soins de Mère Eloin et et de Soeur Eilinn, j'ai retrouvé force et raison.

Jules sourit au Baron

Retraitant Nombre de messages : 13 Date d'inscription : 20/12/2010

D'une grande attention, le Baron écouta le récit de son ami...un récit en forme d'exutoire, pour cet homme qui semblait en proie à de grands doutes, doutes qui l'avaient amené sans doute à se réfugier en l'abbaye.
Nkhan mit une minute ou deux avant de répondre à son ami...il réfléchit sur son cas personnel, afin de pouvoir faire un parallèle qui permettrait à kiesilgur de recevoir conseils...puis il prit la parole.

Voilà bien singulière histoire que tu me racontes là...un Ours dis-tu?!...comme une émanation de toi-même...
Il...
Il semblerait que tu sois rattrapé par une partie de ton passé que tu ne souhaites pas affronter..ou du moins qui t'empêche d'avancer...

Il resta perplexe pendant une minute supplémentaire.

Nous avons chacun notre part d'ombre mon ami, chacun un côté qui n'est pas la face glorieuse que nous voulons afficher au monde, une face...qui ne nous laissera jamais en paix.
J'en ai raconté partie à t...se retint au dernier moment d'évoquer le nom de Bourrike...à un évêque en confession, absolution m'a été donné...mais je vis toujours avec! Et je ne crois pas que même à trépas, je serais en paix avec mon vécu.

Ton histoire est bien singulière, oui, pour sûr...
Emit un sourire pour détendre l'atmosphère...tu n'aurais pas abusé d'un vilain hypocras frelaté?..ou de quelques miches de pain moisie?.

Jules rit de bon coeur à la boutade du baron :
- Non, rassurez-vous, ce n'est ni l'hypocras ni le pain qui est en cause !

Puis, le rire s'éteint peu à peu. Jules porte son regard vers la fenêtre et dit dans un murmure :
- ... comme un émanation de moi-même ... Oui, c'est exactement cela ... la part d'ombre ... et l'Ours serait ma part d'ombre ?

Il ne réagit même pas quand le baron failli prononcer le nom de son ex-épouse. Il était trop loin dans ses pensées. Il dévisageait à présent son interlocuteur. Enfin quelqu'un qui avait saisi toute la portée symbolique de son aventure. Jules sourit :

- Laissons cela, voulez-vous. Votre hypocras et votre pain m'a donné l'eau à la bouche. Qu'en dites vous si nous nous rendions au [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] pour une collation ? Et peut être y verra-t'on sœur Eilinn. Je crois avoir compris que vous la connaissez quelque peu.

Retraitant Nombre de messages : 13 Date d'inscription : 20/12/2010

Un regard assez triste, versé dans une compassion amicale, imprégna le visage poilu du Baron. Son ami était emprunt d'un vague à l'âme, d'une quête qu'il était seul à pouvoir mener à son but...

A l'invitation, le Baron émit un sourire...il fallait dire que le voyage l'avait creusé aussi.

Soeur Eilinn?!...oui!
J'ai un pêché mignon vois-tu, j'aime écrire quelques articles à l'AAP.
Et elle en écrit elle aussi...c'est là bas que je l'ai rencontré.

S'apprêtant à se diriger vers le réfectoire, il arrêta son ami par le bras, et l'air faussement contrarié.

Je veux bien aller manger un bout, mais de grâce, de grâce...nous nous connaissons depuis trop longtemps, et tu connais aussi le peu de cas que je fais de l'étiquette, pour que je te laisse me vouvoyer encore comme cela!