[Ambiance musicale]
Février. Guère un mois agréable pour sortir le nez dehors. Même la nature se reposait et reprenait des forces en attendant l'arrivée du printemps, ou tout renaitrait à nouveau. Les activités d'élevage consistaient en la surveillance des bêtes grosses qui mettraient bas bientôt, ainsi qu'à alimenter le fourrage. Tout était morne, gris comme ce ciel d'hiver qui dissimulait à la Languedocienne de coeur le soleil chéri. Parfois les rayons solaires transperçaient le voile moutonneux, comme des milliers de persiennes d'or, que l'on nommait aussi des "gloires".
Le soleil manquait à Eilinn quand elle était à Noirlac. Tout comme la Méditerranée, les couleurs d'oc, les jeux d'enfants avec Jehanne-Elissa. Et ce manque se faisait plus cruel encore quand le vent d'hiver soufflait en bourrasques acharnées, décoiffant les arbres, introduisant ce froid pernicieux et sournois dans la chair de la jeune fille.
Mais qu'à cela ne tienne. Eilinn, en grande inventeuse d'idées farfelues, avait décidé ce jour-là de dompter le vent. Les chinois fabriquaient déjà depuis de nombreux siècles des "serpents-volants", et même si la jeune fille n'avait pas retenu le but de la chose, l'imaginaire rendu fertile par les rares gravures avait décidé de mettre au point une de ces choses.
Du tissu léger, une armature de bois, et surtout beaucoup beaucoup de ficelle. La jeune fille n'était guère douée en mathématiques, ainsi la construction s'était surtout basée sur des observations empiriques. Un losange symétrique, fait de tissu rouge, dont les morceaux de bois permettaient la tenue.
Le second défi avait été de trouver un lieu dégagé pour accomplir son forfait. La cour de l'Abbaye, même pas il fallait y penser. Et si elle pouvait échapper à l'œil aguerri d'un frère Roger, c'était que du bonus. Après l'office de tierce, Eilinn avait pris la poudre d'escampette, direction le domaine abbatial, notamment un de ces grands champs en jachère. Le vent soufflait, soufflait, et Eilinn manqua se dégonfler un instant tellement ses mains et ses oreilles gelaient.
Elle alla planter le serpent-volant dans la terre, perpendiculairement au sol, et déroula sa ficelle sur une bonne quinzaine de mètres, baissant la tête sous le vent. Une fois satisfaite, elle tira sur le fil, s'attendant à voir décoller son invention.
Mais le vent fut un peu capricieux, et après un décollage amorphe, le serpent volant s'écrasa mollement à terre.
Iiiiiiiiiiiik !
Eilinn fut rassurée de constater que l'armature en bois avait tenu le choc, et retenta la périlleuse mission.
Il vole ! Il vole !
Un jeu d'enfant.