Arrivée d'un (futur) clerc

Cela avait beau faire des semaines que Synésios avait entrepris ce périple à travers la Bourgogne jusque dans le Sancerrois mais cette petite boule au fond de l'estomac ne l'avait pas quittée. Peut-être était-ce le fait d'avoir coupé court à certaines profondes amitiés aristotéliciennes naissantes, et ce pour se retirer du monde profane quelques temps. Cela n'était pas tout à fait convenable d'après les écrits d'Aristote : l'amitié est un état d'esprit pas une construction que l'on ébranle ou que l'on aménage. Mais peut-être que certaines de ces amitiés en éclosion se trouvaient plus contestables qu'elles n'y paraissaient.

Bref, il éloigna un instant cette mauvaise conscience pour découvrir que les remparts du lieu saint apparaissaient non loin dans une vallée.
L'ânesse qu'il avait emprunté à Chambéry vit en cet horizon le temps de la délivrance et rua pour faire descendre le jeune homme. Et c'est le céant crotté et les pieds douloureux que Synésios fit les derniers kilomètres qui le séparait de sa destination.

-Ohé du gardien ! Le gîte ou le couvert si tu as bonne âme, mais de grâce un peu d'eau (ou du sancerre Very Happy

) pour un gosier tout à fait sec.

L'homme chancela de fatigue et d'épuisement nerveux avant de retrouver appui sur son bâton de marche. Sa vocation méritait bien cette transcendance sur son corps, affaibli par de longs mois en mer depuis Rhodes puis sa marche jusqu'à Noirlac.

Il attendit une dizaine de minutes, puis, estimant que l'heure n'était pas à l'un des offices mais au travail des frères, il tira quelques coups sur la corde de la cloche d'entrée.

Cliiiiing-Cliiing- Clooooong (X3)

Ceci fait, il s'assit péniblement sur le sol de gravier. Aïe.

Au delà des hauts murs gris, une grande variété de pinsons, mésanges et rouge-georges pépiaient dans le jardin.

Au delà des hauts murs gris -gris ? Mince, faudra penser à les reblanchir à la chaux, alors, car les murs de l'abbaye ne sauraient estre d'une autre couleur que la blancheur immaculée - au delà, donc, une moniale venait juste de passer, initialement pour se rendre au domaine abbatial. Le tintement de la cloche retentit au moment ou elle passait devant, tant et si bien que ses oreilles se mirent à siffler durant quelques instants. La preuve qu'elle n'était plus habituée à faire office de portier...

Elle se dirigea donc vers la conciergerie, tourna le loquet, et tira sur l'un des deux lourds battants de cette porte qui fermait l'abbaye, avant de saluer le nouveau venu d'un mince sourire.

Bonjorn ! Bienvenue à l'abbaye cistercienne de Noirlac ! Fit-elle à l'homme assis sur les graviers, signe qu'il devait attendre là depuys un moment, où qu'il était dans un état de grande fatigue.

Je suys mère Eloin, Grande Prieure de l'ordre cistercien. Entrez donc, et dictes-moy ce qui vous amène en nos murs !

Endolori par le gravier imprimé sur ses genoux, l'homme mit un certain temps à se relever. Peut-être autant qu'un très vénérable frère assoupi à la sortie du culte de complies.

Ceci fait, il courba le dos avant de se présenter avec moins de manière que s'il eut été dans le monde profane. L'abbaye apportait peut-être déjà des changements dans l'âme du jeune homme. Et ce, avant même d'avoir franchit les murs gris... enfin qui seraient bientôt blancs. Surtout si c'était lui qui devait les poncer... Aussi donc il se présenta :

-Synésios du St-Tabard. Etudiant grec chez les moines de l'île de Rhodes. Je viens à vous alors même que j'arrive tout juste en ce pays pour achever mes études de Théologie et de droit canon. Ma Mère, j'ai fait cette démarche, y compris de venir jusqu'ici depuis la Savoie en vue de devenir prêtre.

Reste-t-il des places au séminaire ou dois-je finir d'abord ma préparation au baptême avec votre définiteur général, le Père Neocor ?
L'homme était prêt à réaliser de grands travaux et sa connaissance du dogme n'était pas nouvelle. Il allait falloir maintenant le prouver.

La moniale hocha la teste après la présentation du jeune homme, ses lèvres s'étirant un mince mais sincère sourire lorsqu'il évoqua son souhait de devenir clerc. La Saincte Eglise manquait tant de vocations, qu'elle mettait tout en œuvre pour choyer ceux qui disaient vouloir se mettre au service du Très-Haut, que ce soit au seing de l'abbaye ou du diocèse de Limoges !

Elle se recula d'un pas pour le laisser entrer dans l'abbaye, avant de luy désigner de la main un bâtiment de grandes dimensions qui se trouvait non loin de l'abbatiale, et dont l'étage comportait tant les cellules des séminaristes que celles des membres de l'ordre cistercien.

Je ne saurais vous dire si frère Neocor enseigne toujours, je ne puys donc que vous conseiller de vous rendre au bureau d'inscription à la pastorale, et de signaler que vous aviez jà commencé ce cursus avec ledit frère, sur la petite fiche que nous demandons à chaque étudiant de remplir...

Elle marqua une courte pause, avant de reprendre.

Souhaitez-vous que je vous fasse préparer une cellule, pendant que vous serez au séminaire ? Je puys également vous déposer une collation en attendant le repas du soir, si la faim vous tenaille.

Le jeune franco-grec sourit devant tant de bienveillance.
-Je ne voudrais pas vous donner de tâches supplémentaires, mais avant qu'il n'enchaîna, son ventre émit un grondement sourd rendant toute transition mal aisée.
-Euh... malgré tout, vous pouvez volontiers faire préparer une cellule pour mon séminaire. Quant au Père Neocor, je pense que la pastorale sera assez succincte au regard de la complétude du séminaire. Il s'agissait surtout pour moi de rencontrer mon évêque. Et si Monseigneur fait une halte à Noirlac, peut-être pourrais-je même finir la pastorale et recevoir mon baptême icelieu ? Il regarda la Grand-Prieure avec détermination et de sympathie, autant qu'il put se le permettre devant sa future supérieure toutefois.
-Serait-il donc possible de plutôt m'axer sur le séminaire avec les frères cisterciens ? Synésios s'était déjà engagé dans la pastorale en ayant une conversation avec Néocor au palais épiscopal.

-Où dois-je vous suivre après rédaction du formulaire, ma Mère ?

Le gargouillement émis par le ventre du visiteur fut une réponse incontestable, et cela tira un sourire amusé à la moniale.

Je vais donc vous faire préparer une cellule pour vostre repos, et je veillerais à y déposer de quoi vous sustenter en attendant le prochain repas, pendant que vous serez à l'accueil du séminaire.

Ma foy, vous pourrez sans problème poursuivre vos études avec la licence d'aristologie, une foys vostre pastorale achevée. Nous avons pour principe de n'enseigner qu'un seul cursus à la foys, mais rien ne vous empêche d'en suivre plusieurs les uns après les autres, si vostre soif d'apprendre est aussi grande !

Pour ce qui est du baptesme, c'est à moy que vous aurez à faire pour les préparatifs, et notamment pour requérir l'aval de l'évesque dont dépend vostre paroisse de résidence...

Elle se tut un instant, espérant ne point l'avoir assommé par tant d'informations, avant de luy dispenser un dernier conseil.

Et si vous souhaitez effectivement rejoindre les rangs des frères et soeurs cisterciens, il vous suffit de vous rendre en la crypte des novices, et de faire vostre demande auprès de frère Rapha13, le maistre des novices.

-Ma mère, lorsque j'ai quitté l'archidiocèse ma pastorale était sur le point de finir. Je suis donc partie en laissant ma dernière copie de réponse à corriger au Père Neocor. Je vais donc attendre sa correction et le prier par une missive de vous tenir au fait de la validation ou non de l'enseignement.

Les choses pourraient ainsi redevenir simples et la Grand-Prieure pourrait organiser à loisir le baptême et son inscription au séminaire si tout se passait aussi bien que l'avait laissé accroire Monseigneur entre deux ronchonnements. Pour l'heure il suivit Mère Eloin jusqu'à sa cellule, et une fois le repérage fait, il alla inscrire son nom sur la liste des séminaristes. Sans oublier de mentionner "Attente de validation de la pastorale de Moustier-en-Tarentaise".