Souper du 17 février

S'il n'y avait eu que sa cervelle qui comptait, elle serait allée se coucher directement, sans prendre la peine de se restaurer, tant elle était exténuée. Elle avait passé sa journée à divers ouvrages, s'occupant les mains pour se vider l'esprit, pour ne plus penser, occultant, pour quelques heures du moins, le chagrin qui l'envahissait toute entière, depuys quelques jours.

Cependant, lorsqu'elle passa devant la porte du réfectoire, une délicieuse odeur parvint à ses narines, ce qui eut pour effet direct de réveiller son estomac. Et la moniale soupira en entrant dans la grande salle où se rejoignaient les membres de l'abbaye pour se restaurer. Elle détestait se coucher le ventre vide et grognant, aussi elle mangerait. Pourtant elle était loin d'en avoir envie, d'ailleurs elle n'avait guère envie de grand chose, ces derniers temps.

C'était toujours ainsi les premiers jours, lorsqu'elle entamait un nouveau deuil. Et celuy-ci serait particulièrement pénible, car elle pleurait deux trépas, survenus à quelques jours d'intervalle.
Alors, la mine sombre et le pas lourd, Eloin traversa la longue salle voutée, ouvrit l'un des vaisseliers, en tira un bol, un gobelet en cuivre, et une cuiller. Elle connaissait suffisamment, à présent, la maîtrise et le savoir culinaire de la soeur cuisinière pour se douter que, avec les journées froides qu'il leur fallait supporter, le souper comprendrait surement un chaud et revigorant bouillon.

Puys elle alla s'installer à l'une des tables, mais pas celle d'ordinaire réservée aux membres du chapitre.
Ce soir, elle n'avait envie de rien, et surtout pas du respect mêlé d'admiration que ses semblables luy portaient souvent.
Ce soir, elle n'était rien, rien d'autre qu'une femme éprouvée par les aléas du destin ; lasse de voir les plus jeunes mourir avant elle.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Ce jour-là, un fermier avait offert en échange de quelques prières pour sa future parturiente de fille deux poules bien imposantes. Devant l'aubaine, la soeur cuisinière avait donc décidé de faire une soupe de la Vierge, un potage roboratif en ces périodes froides.
Du pain rassis avait été doré rapidement sur l'âtre dans une de ces grandes poêles puis mis à part. Des amandes, la chair des poules et les jaunes d'oeufs durs avaient été moulinés à grand renfort de bras musclés, auxquels on avait ajouté la crème, du sel et du poivre. Le bouillon, fait à partir de la carcasse des poules, fut mené à ébullition, et accueillit le pain rassis pour reposer quelques minutes sur l'âtre. Au dernier moment, la sauce aux poulets, amandes et crème fut ajoutée.

Eilinn, après avoir servi la plupart des retraitants, s'approcha de la mère Eloin, et lui servit la soupe presque encore brûlante. La jeune fille déposa également le quotidien du repas cistercien près de la Grande Prieuse, non sans noter qu'elle semblait bien lasse.
A voix basse, comme il seyait dans ce lieu, elle interrogea Eloin.

Ma Mère, vous semblez bien lasse, souhaiteriez-vous quelque chose en particulier ce soir ?

Eloin sourit faiblement au Premier Maistre d'Hostel de la Reyne, touchée de sa sollicitude.

Ma foy, j'ai ce qu'il me faut ; mais si vous avez quelques instants pour discuter, voilà qui me changerait les idées...

Après tout, si la jeune fille pouvait la distraire de ses moroses pensées, elle n'en dormirait que mieux le moment venu !

Ducan entra dans le réfectoire à la cherche d'un repas chaud, l'odeur lui étant parvenu depuis l'extérieur de l'Abbaye où contempla le verger et le couché de soleil... Mais après avoir reçu quelques grondements de son estomac, le novice ne pu que rentrer au bercail et se remplir la panse pour éviter de dormir marabout... Il se fit servir par la soeur Eilinn, sans trop d'insistance sur le moment car ils étaient beaucoup d'affamés ce soir... Et donc, en allant prendre place à un tablée, il aperçu la mère Eloin, le visage sombre... tel une mine de deuil... Le novice au coeur sur la main ne pu en rester assis seul, certainement pas, et alla s'assoir à côté de la Grande Prieuse, qui fit rejoins par la jeune Eilinn... Il ne les interrompa que lorsqu'il entendit la mère souffler le souhait de discuter...

-Et bien ma mère, si je puis remplir le rôle d'oreille attentive, et de soulager votre coeur triste, je puis peut-être vous faire du bien...

Ducan laissa léger sourire se graver dans ses joues, pas son sourire de joie habituelle, mais bien un sourire voulant dire : Je vous comprend, pas la peine de tourner autour du pot, j'ai vécu la même chose...

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn perçut la tristesse dans le sourire faible accordé par la Grande Prieuse. La soeur cuisinière avait bien noté que depuis quelques temps Mère Eloin était bien sombre, mais la réserve de la jeune fille avait fait qu'elle n'avait jamais osé poser de questions.
Eilinn se prit donc un bol de soupe, et s'installa à côté de la grande Prieuse, se disant qu'elle pouvait aussi profiter de cet instant pour se restaurer.

Bien entendu ma Mère, j'ai toujours du temps pour vous.

Le dernier novice, Ducan, assis près de la grande Prieuse, renchérit. Cela fit chaud au coeur de la jeune fille, car l'ordre cistercien était bien plus qu'une simple communauté de moines, cela pouvait presque prendre la notion de "famille".

Un novice à la mine compatissante ne tarda point à les rejoindre, et elle hocha brièvement la teste en signe d'accord.

Nous savons tous trois, je pense, ce qu'est la douleur de perdre un estre cher. Cette foys c'est un double trépas qui frappe mon coeur, puisque deux de mes soeurs de sang ont quitté ce monde, à seulement quelques jours d'intervalle.

J'ai vécu assez, désormais, pour savoir que la mort est un évènement inévitable et incontrôlable, j'ai donc cessé de me poser des questions telles que "pourquoi si tôt", je m'interdis de trouver ces décès injustes, et je me conforte en me disant qu'ils sont désormais en paix.
Mais il me reste, en sus des souvenirs de tous les instants que j'ai pu partager avec les défunts ; l'immense tristesse de les avoir perdu. Il me faudra du temps, avant de pouvoir sincèrement sourire à nouveau, je le sais...

Sur cette conclusion fataliste, la moniale plongea sa cuiller dans son bol de bouillon, et entama son repas.

Ducan était resté assis à côté de Mère Eloin... il apprit la mort de ses soeurs, une douleur compréhensible. Le novice savait ce qu'était ce genre de douleur, et il n'osa pas poser de questions indiscrètes... du moins pas pour le moment, il savait qu'elle souffrait.

-Je comprends votre douleur ma Mère, vous savez, je vous supporte dans cette étape de votre vie et... je crois qu'elles n'aimeraient pas vous voir dans cet état, vous voir triste et blessée..

Ducan sourit, compatissant, puis il prit quelques bouchées du poulet et évitant des bruits satisfaits qu'il aurait d'habitude échappé pour remercié la soeur cuisinière

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

La jeune sœur cuisinière avait eu son lot de deuils par le passé. Elle enviait la sagesse de la Grande Prieuse de ne point se perdre en vaines questions, comme elle avait pu le faire lors de la mort de sa propre mère. Le souvenir confus d'une cavalcade en pleine nuit entre Orléans et Paris passa fugitivement dans son esprit, qu'elle balaya pour ne pas se laisser émouvoir. Elle posa une main légère sur l'épaule de Mère Eloin.

Vous avez le droit de les trouver injustes ces morts, vous savez... Ne le sont-elles pas toutes, malgré la foi qui nous anime et la certitude qu'elles sont au Paradis Solaire ? C'est triste, il vous faudra du temps, mais le soleil revient toujours après la pluie.

La moniale opina du chef aux paroles du novice, qu'elle avait peu croisé jusque-là. Ce devait estre la première foys qu'elle échangeait quelques mots avec luy, d'ailleurs.

Je sais qu'elles n'aimeraient guère me voir triste, mon frère, mais il me faut un peu de temps pour encaisser cette double perte.

Elle n'avait point eu beaucoup de temps pour connaître ses deux sœurs, retrouvées sur le tard, alors que chacune avait fait sa vie de son côté, sans savoir qu'elles avaient des parentes à l'autre bout du royaume. Eloin s'était attachée à elles si vite qu'elle se trouvait désormais démunie, et bien seule avec autant d'amour fraternel à ne plus pouvoir donner.

Le soleil revient toujours après la pluie... Voilà fort belle expression, ma sœur ! Ce qui me fait mal plus que tout, c'est de savoir que les enfants de Marye grandiront désormais sans leur mère. Pour Delost et Amaryes je ne me fais guère de soucis, ils ont presque dix ans et comprennent les choses importantes de la vie ; mais pour Isabeau, qui n'a quelques moys, je crains que ce ne soit plus dur...

Leur père la laisserait-il prendre soin des enfants en attendant qu'il se porte mieux ? Elle avait songé à prendre sa nièce avec elle, pour prendre le relais de Marye et luy enseigner l'essentiel de ce qu'une femme doit savoir. Mais était-ce vraiment une bonne idée...

» [RP] Souper de fin d'été
» Un souper comme les autres
» Messe du 15 fevrier 1457
» Messe du 22 février 1457
» [Bapteme] Lilya_la_douce, 1er février