[Vigne] Du raisin au vin : tout un programme !

La moniale s'était mise a faire les cent pas, pour se réchauffer ; l'humidité ambiante ayant grandement refroidi un air qui, quelques jours auparavant, embaumait encore la chaleur estivale.

C'est donc un bruit de pas rapides qui l'alerta et luy fit faire prestement volte-face, pour se retrouver près d'une novice essoufflée par sa course. Elle leva une main apaisante lorsqu'icelle se confondit en excuses, puys amena deux tabourets, et désigna l'un d'eux a la jeune femme.

Allons, ma soeur, ce n'est rien. Asseyez-vous et reprenez vostre souffle tranquillement, je ne voudrais point vous voir faire un malaise...

Elle s'assit a son tour sur le second tabouret, et presta une ouïe grandement attentive aux explications fournies de la blonde jouvencelle. Tirant a elle un petit panier contenant quelques grappes de raisin, Eloin en saisit une entre ses mains et l'observa.

Donc, il nous faut tout d'abord séparer les grains de raisin de la tige sur laquelle ils ont grossi. Récapitula-t-elle en reportant son regard sur la novice. Ensuite, verser les grains dans le fouloir, et les écraser a l'aide de nos pieds.

Elle garda un instant le silence, puys reprit, perplexe.

Pieds nus, ma soeur ?!

Anna regardait procéder Mère Eloin, elle s'y prenait fort bien ma foi. La jeune novice lui montra comment aller plus vite, c'est-à-dire que la récolte avait été bonne et une somme de travail les attendait...

" Très bien ma Mère, mais on peut aller beaucoup plus rapidement, regardez...vous prenez le haut de la grappe d'une main, voilà, comme ceci, très bien, ensuite de l'autre vous enserrez les grains en plaçant bien vos doigts sur le haut de la rafle, vous vous placez au-dessus du fouloir et d'un coup rapide vous abaissez votre main. Les grains tombent tout seul."

Puis lorsque la Grande Prieuse demanda si on devait fouler le raisin pieds nus, Anna émit un petit rire.

" Oui, bien sûr, pieds nus ! Nos sandales ne sont pas très propres ; et encore, vous savez que dans certaines régions pas très loin de chez nous, de jeunes hommes foulaient nus le raisin ? Si si croyez-moi, souvent en période de vendanges, certaines familles se réconciliaient, autour de vins nouveaux, des vins de l'année, ça puait le raisin pendant huit jours ; ils en mangeaient tant, que les femmes se troussaient et les hommes posaient culotte, au pied de chaque haie ; "

Anna rougit quelque peu puis reprit :

" Les amoureux tout barbouillés de raisin s'embrassaient à bouche que veux-tu et cela se terminait par des jeunes gens soûls qui se mettaient tout nus et foulaient le raisin dans l'ambiance joyeuse que vous imaginez."

Anna à la narration de cette histoire eut un grand moment de mélancolie, cela lui rappelait tant de belles choses...arf, c'était une époque, une belle époque, maintenant il ne fallait plus y penser, une autre voie et d'autres personnes l'avaient subjugué.
Puis elle pensa soudainement.

" Vous savez ma Mère, nous serions plusieurs ce serait plus encourageant et tellement plus agréable...et puis, un bon fouleur, un mâle, vous voyez ce que je veux dire ! Pieds nus bien évidemment, pas tout nu rhôôôôô ben non alors...je verrai bien Père Uriel, voire Père Bardieu fouler moi hein ? Qu'en pensez-vous ?"

Rien à faire, la grosse vis était trop lourde, ou trop rouillée...enfin bref, Anna n'y arrivait pas.
Alors qu'elle désespérait et s'apprêtait à héler mère Eloin pour qu'elle cesse le foulage un instant pour requérir son aide, un petit bruit incongru derrière elle se fit entendre...

Citation :

Bonjour mes soeurs !

" Ouuuuuuuh !!! Vous m'avez fait peur ! "

Anna avait sursauté à la voix mâle derrière elle. Elle aperçut Père Dominicus en prière sans doutes dans le secteur. Elle l'avait rencontré deux ou trois fois à des messes d'intronisation et également à l'accueil du cloître où il passait régulièrement.

" Bonjour mon Père, ben on peut dire que vous tombez bien ! Pourrai-je solliciter votre musculature afin qu'elle déploie la force nécessaire pour dérouiller la vis du pressoir ?
J'avoue que je n'y arrive pas, et il est temps de presser les rafles pour recueillir le reste de jus. Si nous attendons trop longtemps, le vin blanc va se changer en rosé et avouons-le ce serait dommage de gâcher ce Sauvignon blanc.
Ensuite je crois qu'il faudrait atteler deux boeufs pour tourner la vis...
Ah, et j'oubliais, lorsque j'aurai récolté les dernières gouttes de ce nectar et qu'elles seront bien à l'abri dans les fûts, il faudra que nous fassions rouler ces tonneaux sous la grange pour que ceux-ci soient à bonne température.

Vous savez, la récolte fut bonne ! je proposerai même une dégustation à tous les moines d'ici 15 jours...le vin nouveau est arrivé mon Père !"

Le père Dominicus semblait toutefois ennuyé avec quelques douleurs dorsales, car il se tenait légèrement voûté et Anna eut même l'impression qu'il esquissait une grimace ; mais comme tout bon moine qui se respecte, aider deux charmantes moniales ne pouvait le laisser...de bois.