Une mort pour une vie?

Depuis combien de temps la nonnette n'avait-elle pas foulé le sol de Noirlac? Des mois. Plus? Peut-être. Il fallait bien avouer qu'il y avait une certaine distance entre Marmande et ce recoin du Berry et que la sacristine n'était pas friande des voyages. Parfois elle se rendait à Paris espérant y voir son vieil époux. Parfois à Auch pour se changer les idées. Mais c'était bien les seules destinations qu'elle se permettait.

Pourtant, elle était bien là, devant la porte du bureau où elle espérait tant voir Eloin.

Droite, sa robe de bure légèrement enflée sous l'effet du descendant qu'elle portait maintenant depuis plusieurs mois en son sein, elle toqua contre le bois vieilli, retenant sa respiration pour ne pas manquer la réponse qui l'inviterait à entrer. Oh, Watelse lui avait bien interdit de quitter le Rivet: "vous ne voulez pas blesser celui qui fera notre fierté?!" lui avait-il rabâché. Mais une fois de plus elle avait franchi cette ligne. Une fois de plus elle avait contourné l'interdit.

Les meilleurs clercs sont rarement à portée de main. Et la jeune Oblate voulait celle qui se trouvait dans ce bureau, particulièrement.

En ces temps de guerre et de deuils, les demandes de baptême se faisaient plus rares, les fidèles préférant certainement recevoir cet important sacrement sans avoir à parcourir de longues distances, quitte à se priver de la présence de certains proches. L'abbesse comprenait aisément ce fait, pour avoir naguère été soldate, et avoir vu mourir des hommes qui, n'ayant point eu le temps de se faire baptiser avant la bataille, s'en repentaient avant de rendre leur dernier soupir.

L'abbaye était donc plus calme, mais cela ne dérangeait point outre mesure la moniale, qui en profitait pour se recueillir régulièrement, à la mémoyre des proches qu'elle avait perdu ces derniers moys, pour le salut des âmes des soldats morts au combat, mais aussi pour insuffler un peu de raison dans les esprits fols des commanditaires de cette guerre qui traînait en longueur. Si cela continuait ainsi, la Sainct-Noël ne se fêterait point cette année, autrement qu'au milieu des funérailles et autres messes du souvenir !

Eloin songeait à tout cela, cherchant une idée de sermon pour sa prochaine messe, qu'elle voulait différente des précédentes, maugré que le thème serait similaire : la guerre et la folie des hommes ; quant son huis résonna des coups qui venaient de luy estre portés. Elle rangea donc les quelques parchemins qu'elle avait étalé sur sa table de travail, avant de se redresser sur son siège.

Entrez !

Adishatz ma mère.

Une fois entrée, elle avait laissé son regard se balader sur le mobilier avant de se poser sur le visage étrangement soucieux de la moniale. L'espace d'un instant, elle la trouva vieillie avant de mettre cela sur le compte des nombreuses affaires et des nombreux clercs et retraitants qu'elle devait gérer.

Elle s'approcha de quelques pas, une longue tresse battant contre son cœur au rythme des enjambées.

Voilà longtemps.

Une vérité bien plate mais qui se devait d'être énoncée. Tant de choses avaient changé depuis lors, d'un côté comme de l'autre certainement.
Remarquant les papiers qui jonchaient le bureau d'Eloin, elle eut presque des remords à être venue pour sa demande: la Cistercienne n'était-elle pas assez occupée déjà?

Le visage las de l'abbesse s'éclaira d'un mince mais sincère sourire lorsqu'elle reconnu sa visiteuse. Le léger renflement du ventre de l'oblate n'échappa point à son regard affuté, avant qu'elle ne luy désigne de la main la chaise qui faisait face à sa table.

Bonjorn, ma sœur. Je vous en prie, prenez place !

Un bref hochement de teste accueillit la plate mais véridique constatation de la guyennoise. Longtemps, oui, tant d'ailleurs qu'elle ne se souvenait plus trop de la date ni du lieu de leur dernière entrevue.

En effet. Je vois que vous semblez bien portante, j'en suys heureuse pour vous. Puys-je vous offrir quelque chose ? Il me reste un peu de vin de la cuvée 1458, et quelques biscuits confectionnés ce matin par sœur Eilinn.

La moniale ne semblait guère pressée de voir son interlocutrice luy confier le but de sa visite, et pour cause : elles auraient ainsi l'occasion de discuter plus longuement ! Eloin appréciait particulièrement Ellya, savoir ce que devenait cette dernière était donc important à ses yeux.

Ce serait avec plaisir, je n'ai guère eu l'occasion déguster cette cuvée-ci. Si mes souvenirs sont bons, celle de 1457 était un peu âpre. Mais tout de même buvable!

La nonnette, qui avait pris place, se fendit d'un rire cristallin, se remémorant l'espace d'un instant le bonheur qui avait accompagné cette cuvée et cette époque-là. Le souvenir s'estompa rapidement: peut-être était-elle encore trop jeune pour succomber à une nostalgie invasive? L'ombre d'un sourire demeura toutefois sur son visage tandis que ses yeux étaient posés sur les gestes de la moniale.

Sans même avoir pu lire dans les pensées de cette dernière, elle était toutefois en accord avec elle sur ce point: ne pas venir rapidement au vif du sujet, profiter de ces rapides retrouvailles. Et, tout en croquant du bout des lèvres un des biscuits, elle laissa échapper un "mmm" de plaisir.

Délicieux. Très fin! J'ai honte de ne connaître cette sœur mais vous pourrez la féliciter de ma part. Il faut avoir un véritable talent pour parvenir à un tel résultat!

La jeune Oblate le pensait vraiment mais il fallait avouer qu'elle-même n'avait jamais été douée dans le domaine culinaire. Elle ne savait tout simplement pas cuisiner et n'avait jamais vraiment eu envie d'essayer non plus. Après avoir fini sa bouchée plus rapidement qu'elle ne l'aurait imaginé, elle planta alors son clair regard dans celui de la Grande-Prieuse, adoptant un ton tout à fait sérieux et concerné.

Comment allez-vous, Eloin?

[Pardon pour le retard! Je vais essayer d'être plus vigilante même si la période n'aide pas ^^]

L'abbesse quitta alors son siège, et alla ouvrir la grande armoire qui constituait, avec le bureau, l'essentiel du mobilier de la petite pièce. Elle en sortit une bouteille à demi-vide, deux gobelets de cuivre et la coupelle contenant les douceurs de la sœur cuisinière.

Une foys la coupelle posée devant la sacristine, Eloin emplit les deux gobelets avant de reboucher la bouteille, puys se rassit.

Un peu âpre, oui, celle de 1458 fut amplement meilleure, la sœur viticultrice d'alors en était grandement satisfaite ! Celle de la présente année semble moins gouteuse, mais reste bien plus agréable que celle de 1457.

Il fallait dire que la vigne avait été plusieurs années durant à l'abandon, suite à la famine qui avait affaibli les moines, alors qu'elle-mesme venait tout juste d'arriver à l'abbaye. Heureusement que sœur Anna_perenna était devenue novice et s'était occupée de redonner à la vigne tous les soins qu'elle nécessitait, autrement ils n'auraient plus de vin à offrir à leurs visiteurs, ni aux retraitants, depuys bien longtemps !

La bourganiaude hocha la teste avec un petit sourire en voyant le visage d'Ellya s'épanouir en dégustant un biscuit, et elle en prit un à son tour.

Je transmettrais à sœur Eilinn vos compliments, nul doute que cela luy fera plaisir. Sa connaissance des arts culinaires était jà bien développée à son arrivée en nos murs, mais sa nomination à la charge de Premier Maistre d'Hostel du Royaume sublima son talent, et nous sommes heureux d'en profiter !

Le banal repas cistercien se trouvait ainsi régulièrement égayé de préparations qui, si elles n'en restaient pas moins simples et respectueuses de la règle de Sainct-Benoist, apportaient une variante que les moines et séminaristes appréciaient grandement...

Un bref haussement d'épaules luy échappa lorsque vint la question suivante. Il était rare que ses connaissances luy mandent comment elle se portait, elle qui se faisait discrète en toutes circonstances, n'aimant guère se lamenter sur son sort devant les autres.

Ma foy, je me portes bien, mesme si les aléas de l'existence font qu'il m'a fallu subir plusieurs deuils ces derniers moys, dont celuy de mon fils. Mais je refuse de me laisser emporter par la mélancolie, je trouve toujours une raison d'exister, et de ne point sombrer.

Et puys, si le Tout-Puissant n'a point daigné me rappeler à luy pour l'instant, c'est qu'il doit juger que je n'ai point encore accompli ce pour quoi il me fit naistre... Déclara-t-elle avec un mince sourire, avant de porter le gobelet de vin à ses lèvres.

J'aimerais que vous permettiez à l'âme de ma sœur d'avoir le même repos que celle de votre fils, Eloin.

De but en blanc, la demande avait été posée. La douce voix de la nonnette n'avait pas trahi son émotion. D'ailleurs, elle ne semblait pas malheureuse à l'idée que sa dernière sœur eut rejoint le Très-Haut. Elle aussi avait accepté la fatalité de la chose. Comme toutes les filles Duranxie, la belle Lisberoya avait la santé fragile et les humeurs fluctuantes. Et le Créateur seul savait pourquoi, il n'avait laissé sur Terre que la doucereuse Ellya au mari pécheur.

L'Oblate aurait pu se confondre en condoléances pour la Grande Prieuse. Perdre son fils devait être un déchirement inimaginable. Et, puisqu'elle ne pouvait l'imaginer, la nonnette préférait ne pas se montrer présomptueuse. Son regard avait été emprunt de tristesse à l'écoute d'Eloin, cela suffisait. Elle compatissait sans le dire. Sans l'imaginer.

Elle a été, il va de soi, baptisée à sa naissance. Hélas, elle n'a jamais pris le temps de confirmer son baptême. Aussi, comme le droit canon l'autorise, je vous demande humblement de procéder à une cérémonie funèbre pour la défunte.

La demande de la sacristine exposée, l'abbesse ne put que hocher brièvement la teste, comprenant son désir. Elle-mesme avait supporté trop de deuils pour comprendre combien il était important, aux yeux d'un fidèle, de savoir ses proches correctement inhumés et honorés.

Je ne saurais m'opposer à pareille requête, ma sœur, je sais combien il est important de savoir l'âme de ses proches en paix pour faire son deuil au mieux...

Ce serait donc un hommage funèbre, plutôt que des funérailles, si je comprends bien ?

En effet, bien que je souhaite que son corps soit enterré. Mais cela sera en terre non consacrée, évidemment.

Sans vraiment avoir l'appétit pour, la sacristine croqua dans un autre biscuit, histoire de donner le change. Elle songeait aux lettres qu'il lui faudrait envoyer, à celles qu'il lui faudrait recevoir. A la peine, la tristesse qui envahiraient les membres de sa famille. Une triste période s'annonçait.

Le plus tôt possible serait le mieux.

Le lieu? Elle s'était posée la question, sans finalement y trouver de réponse. Aussi laissa-t-elle au soin de la Grande Prieuse de lui faire une proposition.

Un hommage funèbre suivi d'une inhumation en terre non consacrée, c'est entendu. L'inhumation aura-t-elle lieu à Noirlac, ou en un autre endroit ?

L'abbesse avala une nouvelle gorgée de vin, avant de se saisir d'un biscuit. Non qu'elle ait grand faim au point de ne pouvoir attendre le repas suivant, mais la vue des douceurs préparées par celle qui fut le Premier Maistre d’Hôtel du Royaume luy faisait grandement envie. Pêché de gourmandise, certes, mais il luy arrivait rarement d'y céder, aussi se permettait-elle ce jour une petite entorse aux strictes règles de vie qu'elle s'imposait à elle-mesme tout au long de l'année.

Pour ce qui est de la date, je pense qu'une journée durant la semaine à venir conviendra fort bien, si cela vous va.

Et, avant de croquer dans le biscuit dont la douce odeur chatouillait ses narines, elle posa la question qui venait de se présenter à elle.

Me faut-il mander une quelconque autorisation d'inhumation, ma sœur ?

Noirlac serait parfait. L'endroit est paisible et je serai heureuse de savoir son corps y reposer. Samedi vous conviendrait?

Le dimanche aurait pu être proposition censée mais la sacristine savait trop bien que ce jour était toujours plus que rempli pour les religieux. Cela lui laisserait quelques jours pour prévenir la famille. Suffisamment pour permettre aux pigeons de voler au loin, funèbre nouvelle en patte.

Nullement, Eloin. C'était une itinérante sans foyer.

De quoi briser le cœur? Peut-être mais plus tard, alors.

Je vous suis infiniment reconnaissante.

___
Ce serait possible de le faire sur fofo 2? Coin des Arps' ou partie des Cisterciens?

Un bref hochement de teste accueillit la réponse de l'oblate.

Bien. Alors nous procèderons à l'inhumation dans une clairière du bois de Meillant, à l'extrême orient du domaine abbatial. De ce que j'en sais, cette terre n'a jamais été bénie par les moines, mais elle fait encore partie de l'abbaye, aussi pourrons-nous y placer la dernière demeure de vostre sœur... C'est là, notamment, que repose sœur [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien].

Elle n'en dit pas plus sur le sujet, supposant que la sacristine avait certainement ouï parlé de cette sœur cistercienne qu'un inquisiteur avait excommunié après avoir déclaré qu'icelle s'était donnée la mort devant luy, sans que nul ne puysse prouver le contraire. La communauté cistercienne de Noirlac en avait été profondément ébranlée, et s'était recroquevillée sur elle-mesme les semaines qui suivirent le drame.

Eloin reporta son regard sur Ellya, s'efforçant de chasser les souvenirs qui affluaient à son esprit à chaque foys qu'elle repensait à la douce et agréable sœur viticultrice.

Ce samedi, cela me convient... Je vous en prie, je sais combien il est important de savoir que nos proches reposent en paix...

» [Rp] Un petit pas pour Gen, deux grand pas pour Emeline.
» un peu d'air frais pour l'esprit et un peu de détente pour les jambes
» Mort d'un grand homme
» Lorsque la mort arrive
» Mort du frère Assunto