Arrivée de Monseigneur Jerem, Recteur du Chapitre Régulier Romain

Monseigneur Jerem, cela été connu de tous, n'aimait pas voyager en grand équipage.
Aussi est-ce vêtu d'une simple bure, monté sur un âne et accompagné simplement par un guide et son secrétaire particulier qu'il se présenta aux portes de l'abbaye de Noirlac.
Arrivé devant la lourde porte du monastère, le groupe s'arrêta et tandis que Monseigneur démontait de son âne, le secrétaire du Recteur frappa à la porte afin d'alerter le portier.

Lorsqu'il vit une tête paraître dans le guichet qui s'ouvrit juste à hauteur de son visage, il prit la parole:

Qu'Aristote, Christos et le Très-Haut vous gardent, mon frère.
Je suis le secrétaire du Recteur du Chapitre Régulier Romain, Monseigneur Jerem, que voici.
Monseigneur sollicite l'honneur de pouvoir s'entretenir avec votre Recteur ou, à défaut, son représentant en ces murs.

Monseigneur Jerem s'avança vers l'homme qui lui avait fait si cordialement accueil.


Bonjour mon frère, je vous remercie de votre obligeance, nous attendrons sans problème.

Monseigneur vit la porte s'ouvrir et ... Frère Roger apparaître! Il y avait longtemps que Jerem n'avait pas eu l'honneur de croiser le vieux moine qui avait tant œuvré pour l'Eglise

Bonjour Monseigneur Roger,

je souhaiterais m'entretenir en privé avec le Recteur de l'ordre ou l'un de ses représentants pour parler de l'Eglise en général, comment les Cisterciens y voient leur place, quel rôle ils entendent jouer parmi les ordres ... bref faire un point.
J'aimerais aussi vous parler d'une affaire privée dont je ne puis rien dire ici.

Bonjour Monseigneur, c'est un plaisir de vous voir. Je serai ravi de pouvoir m'entretenir avec vous en particulier.

Jerem suivit Monseigneur Bardieu et tous deux s'installèrent de concert à l'ombre du cloître, assis sur ladite pierre. Après un instant, Monseigneur Jerem commença à parler

Comme vous le savez, mon Frère, j'ai en charge le Chapitre Régulier. C'est la raison de ma venue ici. Je voulais connaître les différents ordres qui le composent, comment ils se voient dans l'Eglise, ce qu'ils en attendent, quel rôle ils souhaitent jouer ...
C'est pourquoi j'entame ma tournée par l'ordre cistercien, l'un des plus anciens et vénérables de l'Eglise.

Jerem écouta avec attention Monseigneur Bardieu, hochant souvent la tête en signe d'assentiment à ce qu'il entendait

Mon Frère, vos propos ne font que confirmer mes propres constatations et mes propres craintes. Il semble clair qu'à Rome on semble ne guère apprécier les ordres monastiques et que l'on n'est pas enclin à leur laisser la moindre place dans l'organisation future de celle-ci. La chose vous paraîtra assez incroyable, mais on me refuse même l'accès à l'AEF, malgré mon titre de Recteur du Chapitre Régulier qui me confère rang épiscopal et bien que les Recteurs de chaque ordre y aient accès.
Certains évêques continuent aussi, en toute impunité, à limiter voire empêcher à des clercs réguliers d'accéder à la moindre charge séculière bien que les statuts de Chapitre interdisent désormais à un évêque d'exercer la moindre pression sur quelque personne que ce soit pour la dissuader d'adhérer à l'ordre de son choix. Cela rejoint d'ailleurs une affaire privée dont je souhaitais aussi vous entretenir.
L'un de vos membres, Karel, s'est adressé à l'évêque d'Autun, Baronsenguir, pour obtenir la cure de Semur ce qui serait un grand bien vu que l'actuel curé est en retraite depuis des lustres. Or, l'évêque, d'après mes espions, a tenté de détourner Karel de l'ordre cistercien et tenté, par un subterfuge - le nommer seulement diacre - de lui barrer l'accès à la cure de Semur. Si jamais l'évêque d'Autun devait poser des problèmes à Karel et que celui-ci sollicite votre aide, n'hésitez pas à demander le soutien du Chapitre Régulier, j'appuierai votre démarche.

J'estime, comme vous, que les ordres ont un grand rôle à jouer dans la propagation de la foi alors que l'Eglise perd de plus en plus de fidèles et se désertifie. Il est vrai qu'à Rome certaines familles comme les Azayes, sont plus préoccupées de truster les postes à responsabilité qu'assurer le devenir de l'Eglise. Je crains qu'ils ne finissent pas la tuer pour de bon.
J'espère que nous pourrons avoir très vite, au Chapitre Régulier, une réflexion sur ce sujet.

J'aimerais aussi que les théologiens des différents ordres puissent réinvestir le Saint-Office; actuellement la réflexion théologique y est assez indigente, signe là aussi que notre Eglise n'est décidément pas en bonne santé.
Je veux croire que le sang neuf capable de sauver l'Eglise peut venir des ordres. Je me trompe peut-être. J'espère que non. Face aux "jeunes loups", les vieux peuvent encore montrer qu'ils ne sont pas tout à fait finis et que les différences théologiques ne sont que des nuances qui n'empêchent pas de faire front commun quand les intérêts de l'Eglise sont en jeu.

Il y a très longtemps, pour ma part, que j'évite tout contact avec l'évêque d'Autun que je tiens pour un personnage immonde. J'ai d'ailleurs mis en garde Karel contre le personnage. Heureusement, je le crois assez habile pour éviter les chausse-trappes de l'évêque.

Par ailleurs, c'est évident que l'attitude de l'AEF n'est pas claire; ce n'est pas rassurant. Sans doute cherche-t-on à éviter que le Recteur du Chapitre Régulier puisse soutenir l'accès aux évêchés de membres des ordres réguliers.
Comme vous le dites, les moeurs romaines où souvent être un bon courtisan permet d'y progresser plus sûrement que toute autre considération, lassent. Le Saint-Office est heureusement un lieu encore préservé de ce genre de choses et j'espère aussi en préserver le Chapitre Régulier.

Sans doute avez-vous raison de vous replier sur le local et la réflexion interne; si vous voyez cependant quelque intérêt à ce que certains points de cette réflexion soient connus à Rome au Saint-Office ou inscrits dans le dogme ou la réflexion dogmatique, par exemple, n'hésitez pas.

Les pensées de Monseigneur Bardieu s'accordaient, encore une fois, à celle du Recteur du Chapitre Régulier Romain.

Mon frère, vous pointez le mot juste "dépasser le clivage théologique traditionnel". C'est tout le sens de mon œuvre et de ma vie. J'aimerais que ces clivages ne deviennent que des sensibilités participant toute à l’œuvre commune de l'Eglise, mais ce n'est pas facile.
Comme Thomiste, par exemple, je dois encore me battre parfois contre certaines rumeurs qui prétendent que nous vouons un culte exclusif à Christos. Bien connaître son œuvre et particulièrement l'apprécier ne veut pourtant pas dire lui vouer un culte exclusif, mais bon ... On a beau s'inspirer aussi d'Aristote dans nos écrits, traduire Oane et Noam, etc ..., certaines personnes continuent à avoir une vision qui ne correspond plus à la réalité et continuent à "bouffer" du thomiste en place publique. C'est dire si le combat pour le dépassement des clivages théologiques traditionnels reste un combat d'avenir.
Puisse le Saint-Office et le Chapitre Régulier y contribuer !

Dépasser le clivage théologique. Les mots étaient dit. Ils étaient même très fort. Mon frère, je pense que nous avons terminé avec cette partie et que nous sommes d'accord sur ce grand point.
Votre discours sur l'ordre thomiste me fait sourire, car, et même si cela est incompatible avec ce que j'ai dit, je l'ai souvent entendu dans de nombreux endroit, et pas seulement au sein de notre sainte église.
Mais le principe de sensibilité, qui, pour ma part, n'a d'autres ambitions que de conduire à une interprétation enrichie du livre des vertus.
Peut être pourrions nous écrire un texte canonique pour préciser la fonction du clergé régulier et sa position ?

Ce serait une bonne idée et qui permettrait de compléter nos nouveaux statuts.

Monseigneur Jerem était fort satisfait de sa visite chez les Cisterciens.

Aucun problème, mon frère. Ce sera avec plaisir que j'attendrai votre texte.

Monseigneur Jerem allait se retirer quand son secrétaire particulier lui murmura quelque chose à l'oreille. Confus, Monseigneur Jerem ajouta

J'allais prendre congé en oubliant de vous parler de deux projets qui semblent prendre forme et dont mon secrétaire vient de me rappeler l'importance:

- la réalisation d'un dictionnaire aristotélicien des noms propres.
Pour en former la base, chaque ordre pourrait réaliser un article du dictionnaire sur chacun de ses saints et bienheureux.
J'ai moi-même écrit un "modèle" avec St-Karel

Citation :

Karel (saint), religieux français (En Limousin - La Trémoille, 1454).
Né dans une pauvre famille paysanne, il devint curé de Guéret en 1453 en même temps qu'il entrait chez les Cisterciens et prêcha inlassablement la paix en Limousin, en Poitou et en Anjou alors que le royaume était en proie à la guerre civile.
Lorsque Eugène V engagea l'Eglise sur la voie de la Réforme, il participa à la fondation de l'Eglise Conservatrice Aristotélicienne qui s'opposa à celle-ci afin de protéger les acquis de la pensée de Christos tout en cherchant à défendre l'idée d'un compromis qui aboutit à la fondation de la Congrégation de St-Thomas dont il devint le premier recteur.
Devenu évêque de Limoges, se sentant marginalisé au sein de l'Eglise, il renonça à l'état ecclésiastique, se maria et devint ambassadeur du Poitou.
En bute à l'hostilité croissante d'une nouvelle génération de théologiens qui supportait difficilement que Karel se mêle encore de la vie de l'Eglise, il se vit souvent mis à l'Index. Lassé, épuisé, il meurt à La Trémoille - Fête le 7 mai, patron des prêcheurs.

- l'écriture de l'histoire de l'Eglise.
Il semblerait que le nouveau doyen franciscain, Robert Savoie, ait des idées sur le sujet. Chaque ordre pourrait collaborer à l'entreprise grâce aux "petites mains" de leurs scriptoriums. Si ça intéresse quelqu'un, en tout cas, c'est ici que les choses sont centralisées
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