Quand Clarri ose pénétrer dans l'antre de Eilinn Melani

Pffff, satané noviciat. Fallait ouvrir les portes du réfectoire qu'il disait Wilfred. Argh, après il se disait son ami...non mais il se rendait pas compte lui de ce qu'il lui demandait. Aller chez la chef cuisinière et s'emparer de ses chaudrons, cuillères et boustifaille pour préparer un menu...Chez Melani en plus. D'ici qu'elle la fasse rôtir par les doigts de pied y'avait pas loin.

- Bon ben quand faut y aller faut y aller hein, courage ma fille, c'est ton avenir qui est en jeu.

Elle s'engagea discrètement dans la pièce où bouilloires frémissaient, chaudrons mijotaient et miches de pain embaumaient.

- Un menu pour l'abbaye...alors...qu'avons-nous ici ?

Elle farfouilla partout, trouva quelques bardes de lard, des fèves et un gros morceau de fromage de chèvre...à l'odeur c'était bien celui de Wilfred...un délice ce fromage...pas un tonnelet de Sancerre des fois ? Pour accompagner le tout ce serait parfait.

Elle posa ce qu'elle trouva sur la table, jetant un oeil apeuré à la porte, au cas où Soeur Melani ferait son apparition, puis commença la composition de son repas.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Et arriva ce qui devait arriver, Eilinn hantant régulièrement ses cuisines pour y préparer quelque plat à la recette secrète, ou vérifiant que les antiquités de l'ordre ne lui vidaient pas le cellier. La porte claqua, visiblement ouverte d'un coup de pied, Eilinn ayant les bras occupés. Elle s'arrêta sur place en voyant qu'il y avait déjà quelqu'un, regardant Clarrissia d'un air subitement inquiet.
La cuisinière avait dans les bras des pots d'une confiture apparemment de mirabelles, une bouteille de liqueur du même fruits, des sachets d'épices venant visiblement de sa réserve personnelle.

Elle reprit sa route et déposa tout son barda sur la table, fronça un sourcil (le gauche) en regardant tout ce que Clarrissia avait sorti. Elle se contenta d'un sobre :

L'bonjour ma sœur.

Les cuisines n'étaient pas réservés à son unique usage, mais il était bien rare qu'un autre cistercien se risque dans les parages, si on exceptait les voleurs de tarte et son aide-cuisinière. Se disant qu'il devait y avoir une volonté sous-jacente à la présence de la sœur, elle décida de ne pas la taper à coup de louche pour la virer, et se concentra sur sa propre tâche, ranimant le feu de l'âtre en y jetant des buches.

L'ennuyeux avec les novices en quête d'entrée dans la communauté, c'est que lorsqu'on a de la peine, au lieu de la chasser on lui cherche un titre.

une silhouette qui se tient en arrêt devant la porte des cuisines, un sourcil froncé et stupidement le sac de fèves qui échappe aux mains de Clarri.
Morte de frousse la jeune novice, elle ne peut que se contenter de maugréer par de petits gémissements et de se mettre à quatre pattes pour ramasser les fèves éparpillées.

D'une voix rapide et sans interruption elle déclame.

- C'estWilfredquim'aditd'allerauréfectoirepourpréparerunmenupourlajournéeafinderégalernosbonscistercienstapezpassiouplaitsurlapauvreClarrijen'ysuispourrien,j'ourmasoeur...

Ceci traduisant l'évidence, quand quelqu'un est présent et qui se trouve pris au dépourvu d'être effectivement présent alors qu'il aurait dû être absent, cela renforce sa présence.
Des tas de gens sont présents sans en être conscients, ce qui constitue une forme d'absence..pour être pleinement présent quelque part, il ne suffit pas de proposer sa présence physique quelque part mais de participer spirituellement à cette présence...

Ben là c'était plutôt le contraire. Prise en flagrant délire la mésange...restez plus qu'à baisser l'échine et s'attendre à voir s'abattre les foudres de Soeur Melani...

- Alors je fais quoi ? Je prépare ou je m'en vais ? J'ai tout ramassé et rien sali...

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Eilinn eut l'assurance en voyant la réaction de soeur Clarrissia qu'elle pourrait toujours se reconvertir en croque-mitaine si l'envie lui en prenait. Elle saisit au vol quelques mots comme "Wilfred", "régaler", "taper pas". Quelque part cela l'amusait un peu de faire peur à Clarrissia, même si elle concevait mal pouvoir être impressionnante du haut de son mètre cinquante-deux.

Si c'est Wilfred qui vous l'a demandé, faites.

La soeur cuisinière était un peu sceptique, mais soit, il fallait bien commencer un jour ou l'autre. Et ce n'était pas son intention que d'aller à l'encontre d'une directive du maitre des novices, probablement qu'il avait une idée derrière la tête.

Et si vous avez besoin d'aide...

Elle n'acheva pas la phrase, ce n'était qu'une proposition. Travailler dans des cuisines inconnues pouvait parfois se révéler stressant. Eilinn quant à elle se saisit d'un cul-de-poule*, et commença à peser farine, oeufs et miel. A vrai dire, qu'une novice se charge du repas du soir l'arrangeait en ce jour, étant elle-même sur un autre projet.

* grand récipient genre saladier.

Citation :: Et si vous avez besoin d'aide...

- M'ci Melani...

Bon...ça ne se passait pas si mal que ça en fait. Même si l'air grognon et quelque peu intrigué de la chef cuisinière envahissait la pièce.
Elle sifflota tout en faisant cuire les fèves dans un immense chaudron. Puis découpa quelques bardes de lard qu'elle fit revenir dans un peu de saindoux.

Avisant un tonnelet de Sancerre, son goût invétéré pour le bon vin reprit le dessus.

- Le Sancerre est comme un bon Aristotélicien ma soeur, il est bon quand il a fait ses Pâques, dit-on chez moi... Voulez pas savourez avec moi un bon godet tout en finesse, distingué et long en bouche ? Tenez...sentez ses arômes floraux d'acacia. A moins que vous ne préfériez ce Pinot noir aux notes caractéristiques de noisette ; regardez cette belle robe que l'on voit au travers de cette carafe...quelle harmonie !

Elle porta le breuvage en bouche. Pure extase...

- Hmmmmmmmmmm...quelle fraîcheur ! Ample et distingué ! Voulez goûter ?

Je le retiens celui-ci...ça va leur plaire aux résidents de cette abbaye croyez-moi...Oh !!! Mes fèves !

L'eau débordait, et mélangé au feu, crépitait dans des étincelles dégageant des fumerolles grisâtres. Elle rajouta les bardes lard grillées, puis découpa quelques croûtons de pain qu'elle mit à rôtir au feu sec...

Voilà un bon plat d'hiver ma soeur...qu'en pensez-vous ?

Tout en dégustant amoureusement son godet, elle porta son regard de piou piou vers Soeur Melani...appréciait-elle le bon vin ?...

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Vous pouvez m'appeller Eilinn, Melani c'est mon nom de famille.

Eilinn de son côté s'était également mise à la cuisine. Dans le cul de poule elle avait fait une pâte à gâteau, de pain d'épices plus exactement, et avait préparé le four à bois. La pâte fut versée sur une grande plaque, et mise avec précaution dans le four, la cuisinière surveillant attentivement l'évolution de la cuisson, tandis que Clarrissia vantait les mérites d'un cru vinicole. Eilinn garda le silence sur l'instant, parce qu'elle et le vin, c'est un peu comme Superman et la kryptonite, ça ne va pas bien ensemble. Elle regarda avec un mélange de méfiance et d'aversion le liquide que la novice versait dans sa timbale.

Ne le prenez pas mal, mais je n'aime pas le vin. Un comble pour quelqu'un qui posséde des vignes sur les côteaux de Reims.

Laissant Clarrissia se dépatouiller de ses fèves et de ses bardes de lards, Eilinn poursuivit sa propre recette. Dans un petit chaudron furent mélangés du beurre, du sucre, de la crème fraiche, des œufs, ainsi que deux pots de gelée de mirabelle, le tout assaisonné par la liqueur du même fruit. Une fois au petit bouillon, Eilinn ôta le chaudron et alla le mettre dehors pour refroidir. Elle en profita pour ramener un petit tonneau de boisson, qu'elle déposa sur la table, avant d'aller chercher une louche. Elle prit une grande timbale, et après avoir ôté le bouchon du tonneau, plongea la louche pour venir verser dans la timbale de la bière blanche.

C'est ça mon péché mignon. J'ai eu l'honneur de goûter à la bière de la vicomtesse de Leffe, en Flandres, notamment une bière avec triple fermentation, et je lui passe souvent commande quand je le peux.

La mousse se forma, dégoulinant même un peu le long de la timbale. Eilinn retira la plaque de pain d'épices du four, après avoir tâté la cuisson du doigt, et la déposa sur un plan de travail pour que cela refroidisse paisiblement. Le temps de faire cela, la mousse avait disparu et la cuisinière acheva de remplir sa timbale.

Mais le vin... malgré tous mes efforts...

Eilinn haussa les épaules, l'air de dire "désolée!". Elle s'installa, et la novice lui demanda son avis. La cuisinière plissa les yeux, se demandant un instant comment répondre.

Un bon plat d'hiver tout à fait, même si j'aurai probablement fait la chose différemment... Mais cela conviendra tout à fait pour les cisterciens je pense.

Et parce qu'elle ne se refaisait pas, et que peut-être Clarrissia était dans l'attente d'un conseil :

Peut-être pourriez-vous rajouter du beurre à votre bouillon, cela aide beaucoup à révéler les goûts.

Curieux ça comme la majorité des gens et principalement des moines préférait la bière au vin. Dire qu'elle en était quelque peu vexée, serait un peu exagéré, mais contrariée oui, certainement.
Certes elle connaissait le savoir faire des moines de l'abbaye de Leffe, et leur secret pour la macération du houblon qui en faisait un breuvage de couleur ambrée particulièrement saisissant, mais le Royaume était un pays de vin avant tout, si une bière était agréable à déguster par beau temps, à l'ombre d'un tilleul, le vin était toute une cérémonie.

Débat interminable...

Clarri se tut. hocha la tête affirmativement lorsque la cuisinière lui conseilla de rajouter un morceau de beurre, puis tout en surveillant le rôtissage de ses croûtons se rappela des paroles que sa maman lui disait lorsqu'elle lui faisait l'éloge du vin.

- ...Tu te rappelles maman, quand tu me disais en caressant les grappes de raisin que tu étais tombée dans les cuves de vin étant petite ; depuis ta plus tendre enfance tu as vu tes parents vendanger, vinifier, ils t'ont appris à aimer le vignoble, le respecter, à retirer l'essence même de ce noble fruit...ben depuis, chaque fois que je vois une vigne, je ne peux m'empêcher de caresser les ceps rugueux, flairer les feuilles, goûter les grains...
Et puis ce respect pour le travail de l'homme..ce labeur quotidien, qui à chaque effort confronte le vigneron à la végétation récalcitrante, aux intempéries désespérantes, à la matière qui résiste, à sa sublimation en vin. L'intuition de l'homme juge l’optimum de maturité, et lance la récolte. Sa respiration est suspendue au passage d’un nuage de grêle qui se moque des efforts de l’année. Le vigneron se survit dans le vin qu’il met au monde, au pied du fouloir, du pressoir, et dans les ceps qu’il plante pour la génération suivante. Celui qui fait sauter le bouchon aussi communie à la temporalité immanente du vin. Il s’imbibe de la matière que le vigneron a projeté dans l’avenir.

Puis tout en retirant les croûtons du feu, elle fit.

- Oui c'est bon une bière...mais moi je préfère le vin pour le travail qu'il a fallu abattre et pour le souci que le vigneron s'est donné à surveiller ses bourgeons et à prier le Seigneur pour que le temps soit clément...

Le repas était fin prêt.

- Merci ma Soeur de m'avoir cédé un espace de votre cuisine.

Elle la salua en s'inclinant et sortit des cuisines...parler du vin c'était encore des souvenirs douloureux pour la mésange.

Oblate Nombre de messages : 1215 Date d'inscription : 13/05/2010

Mais de rien, les cuisines sont ouvertes à tous.

Clarrissia partit des cuisines et la fin de la conversation laissa Eilinn songeuse, ayant noté le brusque changement d'attitude de la soeur lorsqu'elle avait mentionné qu'elle n'aimait pas le vin. Jamais auparavant cela n'avait posé souci, tant auprès de feue Anna Perenna ici, que Della au Louvre. Ainsi la réaction de Clarrissia chiffonna un instant la sœur cuisinière sans qu'elle ne puisse mettre le doigt sur le problème.

Hum...

Les doigts tapotèrent un instant la table, avant qu'Eilinn ne reprenne ses activités. La cuisinière alla rechercher le chaudron rempli de crémeux à la mirabelle et entreprit de couper dans la longueur la plaque de pain d'épices. Le travail demandait assez d'attention pour qu'Eilinn apprécie la solitude des cuisines. La moitié supérieure fut ôtée avec précaution, afin qu'elle reste d'une seule pièce et Eilinn versa la crème à la mirabelle sur la moitié inférieure, prenant bien garde d'égaliser par la suite la masse. Tout avec délicatesse, la crème fut recouverte de la moitié supérieure, Eilinn exerçant quelques pressions du bout des doigts pour qu'elle adhère à la crème, et consolider le tout. La plaque métallique fut ôtée, afin de voir si le résultat correspondait aux espérances de la cuisinière.

Aliénor, c'est pas mal.

Le doigt vint racler le chaudron pour y prélever un peu du crémeux, dans un sursaut de gourmandise inattendu. Eilinn prit le temps ensuite de nettoyer ce qu'elle avait sali, prenant garde à ne pas toucher à ce qu'avait préparé Clarrissia. Bientôt il serait temps de servir ce que cette dernière avait préparé, après l'office.

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» quand l'obligation fait loi ...